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UNE NIHILISTE

Le récit de Mme Kovalevska est une œuvre inachevée, un simple épisode, présentant cependant un grand intérêt, car c’est une page vivante de cette mémorable époque de l’émancipation des serfs et des premiers symptômes du mouvement révolutionnaire en Russie.

Voici ce que disent les éditeurs russes dans la préface du livre :

Parmi les papiers de S. Kovalevska nous avons trouvé deux rédactions différentes de ce même roman ; l’une et l’autre sont inachevées ; quelques chapitres ont été écrits en suédois et l’auteur en a donné lecture à la Société littéraire de Stockholm.

En vue de la censure, S. Kovalevska pensait publier son roman en anglais ou en français ; le destinant à un public étranger, elle a donné quelques détails inutiles pour le lecteur russe et a touché à des faits trop récents et trop palpitants.

Les amis de la défunte ont réussi avec le concours de l’écrivain, Anne Leffler, duchesse de Caianello, à établir un texte unique.

Il est indubitable que bien des choses auraient été corrigées et mieux finies si la mort n’avait enlevé S. Kovalevska dans la pleine floraison de ses travaux littéraires. Cependant, même dans sa forme actuelle, son roman présente un intérêt indiscutable non seulement par lui-même, mais aussi grâce à la lumière qu’il fait sur la personnalité morale de l’auteur.

Quoique absorbée par ses études scientifiques, S. Kovalevska ne s’était point détachée des intérêts de la vie russe ; sans appartenir à un parti politique quelconque, elle ne restait pas indifférente devant les actes de dévouement à la cause publique. Cependant, sa sympathie ne l’empêchait pas d’être un observateur impartial de la vie qu’elle dépeint. Sans cela, il va sans dire, ses travaux littéraires n’auraient pas la portée artistique qu’on ne peut leur refuser.

I

J’avais 22 ans quand je vins habiter Saint-Pétersbourg. Trois mois auparavant, j’avais terminé mes études dans une des universités étrangères, et je rentrais en Russie avec un diplôme de docteur en mathématiques.

Après avoir vécu cinq ans seule et presque en ermite dans une petite ville d’Allemagne, je fus entraînée et pour ainsi dire grisée par le courant de la vie de Saint-Pétersbourg. J’oubliais temporairement toutes les combinaisons sur les fonctions analytiques, sur l’étendue et les quatre dimen-