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la prostitution en russie

qui, au su du public, aurait été séduite, ne trouverait jamais à se marier dans sa commune.

Les veuves trouvent difficilement à se remarier dans leur commune. Lorsqu’elles ont cependant réussi à trouver un épouseur appartenant à une localité voisine, elles doivent, si elles veulent aller résider avec lui, faire abandon à leur village du terrain qu’elles y possédaient, ou bien, si le nouveau mari quitte sa résidence pour aller vivre dans celle de sa femme, il a besoin d’une autorisation de la commune où il va demeurer.

Les jeunes gens se marient souvent avant d’effectuer leur service militaire qui dure aujourd’hui cinq ans. Avant la guerre de Crimée il était de vingt-cinq années ; après il fut réduit à quinze. Pendant cette longue période de veuvage, les femmes étaient et sont encore soigneusement gardées par la famille et le village. Mais les sens n’en parlaient pas moins, les pauvres épouses se disaient in petto qu’elles seraient bien simples de garder une fidélité à toute épreuve à des maris qui, eux, ne devaient pas se gêner. Aussi se laissaient-elles séduire en cachette par leur beau-père ou leurs beaux-frères. Souvent, lorsque leurs soins n’étaient pas nécessaires à la maison, elles allaient travailler dans une fabrique ou en ville.

En général, les petites maisons de paysans n’ont qu’une seule grande chambre. L’ameublement en est des plus simples : au milieu ou dans un coin, une longue table blanche, au mur, des bancs étroits ; puis une petchka, sorte d’immense four où, pendant les hivers rigoureux, les membres de la famille font chauffer et prennent leurs bains. Enfin, dernier meuble et le plus indispensable de tous, un grand lit de camp où tous, habillés ou non, dorment pêle-mêle. Si un visiteur se présente, on l’invite fraternellement à partager la couche commune. Pendant la saison froide, les animaux couchent dans la chambre. Seules, les habitations des riches paysans sont divisées en deux pièces : une pour la famille et l’autre, la plus belle et la plus propre, pour les hôtes.

Les moujiks, avec des mœurs très primitives, ont infiniment plus de moralité que les classes supérieures. En été, on voit souvent les jeunes gens et les jeunes filles se baigner ensemble : ils rient, jouent et s’arrêtent là. Dans la Petite-Russie, pendant les longues soirées de la Noël, les garçons d’un village vont visiter leurs amis des localités voisines, s’amusent avec eux et, pour ne pas s’en retourner par une nuit sombre et glaciale, ils restent chez leurs hôtes, chacun choisissant la maison où se trouve la jeune fille qu’il préfère. Chose très remarquable et qui témoigne d’un grand calme sexuel chez ces paysans, le jeune homme couche auprès de la jeune fille dans le lit commun sans essayer le moins du monde d’obtenir ses faveurs.