Page:La Société nouvelle, année 9, tome 1, 1893.djvu/464

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tombe, on l’accueillait joyeusement. Dès qu’il charabiait la langue, le nouvel arrivé devenait un personnage, surtout si du bagne il rapportait quelque talent de société. L’ancien meurtrier passait capitaine et chef de guerre, le bigame se faisait adjuger plusieurs épouses, se montrait plus sauvage que les sauvages.

Ainsi, les Primitifs rêvaient justice, bonheur et abondance. Un cygne leur arrivait en messager, un cygne immense nageant parmi les nuées, volant d’horizon en horizon, descendant du ciel et battant de grandes ailes blanches. Des génies arrivaient, hérauts de la parole nouvelle. Montés sur des coursiers-ouragans, ils tenaient en main, qui la foudre, qui l’eau de feu, puisée à la fontaine de Jouvence, pensait-on. Or, ces Messies étaient ce que la Grande-Bretagne avait de mieux en voleurs, banqueroutiers, escarpes, empoisonneurs, chourineurs et autres malandrins, l’exécrable rebut des Trois-Royaumes. Tel fut le premier contact de la civilisation avec les enfants de la nature.

Vers 1849-1852 la réaction triomphait sur toute la ligne. La France, l’Allemagne, l’Italie, la Hongrie, la Russie emprisonnaient, fusillaient, déportaient les fauteurs de révolutions. Les plus énergiques parmi les meilleurs et les pires parmi les mauvais sentirent le besoin de s’expatrier, d’aller loin, bien loin. Alors se répandit la nouvelle que des mines d’une extraordinaire richesse avaient été ouvertes en Californie, puis on apprit que l’Australie regorgeait de quartz aurifère, de placers, de nuggets et de pépites. Ce fut la Ruée de l’Or. De tous les ports chrétiens s’élancèrent des navires vers le nouvel Eldorado. Semblablement, quand la régénération religieuse et sociale qu’avait espérée le XVIe siècle, avorta en luthérianisme et calvinisme, finalement en jésuitisme, une foule hardie s’enrôla dans l’armée de Mammon, forma la phalange des Conquistadores qui se continuèrent en « Frères de la Côte », en boucaniers et flibustiers, puis en traitants et négriers, gens qui, partant avec la sacoche vide, entendaient revenir avec la sacoche pleine, Dieu aidant ou le Diable. D’abord il ne s’agissait que de laver les sables et alluvions, besogne relativement facile. Mais quand, pour suivre le métal dans les profondeurs et l’arracher aux mines et roches dures, il fallut recourir aux machines mues par de puissants capitaux, les coureurs de fortune se jetèrent sur l’élève du grand et du petit bétail, afin de transformer l’herbe en viande et la viande en lingots. La seconde industrie se montrant au moins aussi lucrative que la première, nombre d’aventuriers se mirent à produire de la laine et du cuir aux alentours des grands ports, puis on remonta les fleuves, on poussa dans l’intérieur. Pour bergers les éleveurs prenaient des forçats que le gouvernement livrait gratis, très satisfait d’économiser leur nourriture. L’absence de bêtes féroces facilitait