Page:La Société nouvelle, année 9, tome 1, 1893.djvu/470

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toyens ? Les envahisseurs qui savent leur métier, fonctionnent, ont fonctionné, fonctionneront, en guise de pointe au javelot qu’un natif darde contre un autre natif. À la terrible bataille d’Aix en Provence, les Ambrons cisalpins et transalpins s’entrechoquèrent au cri d’Amhra, Amhra ! Et César continua la politique de Marius. Ce serait presque refaire l’histoire du monde que de raconter les inimitiés et trahisons de frères à frères. Tant parmi les sauvages que parmi les civilisés, il n’y a haine que de famille, fureur que de concitoyens. Après que les Visages Pâles eurent lancé les Hurons contre les Iroquois, les Comanches contre les Apaches, les blancs d’Australie jettèrent les noirs de l’est sur les noirs de l’ouest et les nègres du nord contre ceux du midi. Ces imbéciles croient aimer leur patrie en détestant leurs voisins, croient participer à la gloire, à la richesse et à la supériorité des blancs en s’enrôlant sous leurs ordres. Un officier reçoit par chemin de fer un lot de Blackies robustes et bien découplés, enrôlés après une bouteille de rhum et la promesse de grogs ou gorrogos abondants. Il leur endosse un uniforme en flanelle légère avec lettres et chiffres dorés, les dresse à quelques manœuvres, leur met entre les mains une jolie carabine à longue portée, un charmant petit cheval entre les jambes. Puis il inspecte : biscuits, allumettes, poudre, cartouchière, patente, all right, en route les garçons ! La dite patente les institue gardiens de la Loi, les constitue en état perpétuel de légitime défense, les innocente de tout meurtre commis ou à commettre dans l’exercice de leurs fonctions. Allez

 
Garantir la propriété,
Défendre les champs et la ville
Du vol et de l’iniquité !

Muni du précieux brevet à cachet rouge, le sauvage crève d’orgueil. Ce n’est plus un nègre, mais un dieu, et il ne demande qu’à le prouver à quelque ancien camarade par un coup de foudre dans la cervelle. La vanité est féroce. En 1848, les gamins galonnés en mobiles le montrèrent bien aux Parisiens. Les nouveaux guerrilleros, parmi lesquels s’enrôlent parfois de charmants gentilshommes décavés, de gais rastaquouères, même des Cafres raccolés au cap de Bonne-Espérance, prennent la campagne, reçoivent un plan d’opérations lesquelles embrassent un réseau de fermes où ils seront traités princièrement, s’ils savent plaire. La jeunesse dorée des environs s’invite aux battues. On pique dans la brousse, on fouille les marécages, on giroie dans la forêt ; les noirs reniflent des pistes insaisissables pour un Européen, déjouent les ruses qu’ils ont eux-mêmes pratiquées. Cette chasse à l’homme passionne nos chasseurs. Postés à cinq cents pas, ils s’enthousiasment à descendre des malheureux dont la javeline ne porte qu’à cin-