Page:La Vallée-Poussin - Bodhicaryvatra.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
vi
[431]
LOUIS DE LA VALLÉE POUSSIN


1. La plus ancienne littérature, dite du « Petit Véhicule », considère les Bouddhas et les futurs Bouddhas comme des êtres infiniment rares : on nomme surtout trois Bouddhas du passé, Çakyamuni, et le Bouddha de l’avenir, Maitreya, « le bienveillant », qui n’est encore qu’un « futur Bouddha ». On raconte les vies anciennes de Çakyamuni, et comment, sous des formes animales ou humaines, il s’est exercé dans les diverses vertus ; on le montre, dans son avant-dernière existence, comme le roi des « dieux satisfaits », et, dans la dernière, comme un homme au corps merveilleux, « portant les marques des grands hommes », marques qu’il partage avec les « rois souverains ».

Mais l’idée ne se fait jour nulle part que la destinée de futur Bouddha et de Bouddha ne soit pas une destinée d’exception. Le fidèle n’aspire pas à devenir Bouddha : tout ce qu’il souhaite, c’est d’acquérir la qualité d’Arhat, ascète mûr pour l’anéantissement, et qui vit sa dernière existence ; c’est de sortir du cercle des transmigrations, et d’entrer dans le nirvana.

Le concept du nirvana qui est la cessation de la vie sensible, passionnelle, consciente, domine le concept d’Arhat. Pour ne plus renaître, l’Arhat doit détruire le désir, d’où l’action, d’où le fruit de l’action, c’est-à-dire une nouvelle existence. Sa loi sera donc l’abstention. Et. à ce code moral, tout entier négatif, se superposera une discipline intellectuelle tendant à la suppression actuelle de la conscience ; c’est la pratique des quatre « extases ». — Le Bouddha, réceptacle de toute connaissance, trésor de tous les mérites, est un utile objet de méditation ; mais il n’est pas un dieu secourable, il n’est pas non plus un modèle.

2. Dans les livres qui forment la littérature dite du « Grand Véhicule », la conception religieuse est radicalement transformée. On s’est rendu compte que la sainteté égoïste de l’Arhat, préoccupé de son seul salut, supposait le désir de la non-existence, aussi passionnel que le désir de l’existence ; on a conçu des doutes sur l’efficacité des « extases ». D’autre part, on a perfectionné le caractère du Bouddha, et reconnu un sauveur compatissant dans le maître de pitié dédaigneuse et glacée : « C’est à vous de travailler à votre salut, disait-il, les Bouddhas se contentent de montrer le chemin.» Sans nier radicalement, et avec une parfaite suite dans le raisonnement, les doctrines de délivrance du Petit