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montrer quelle était la première et constante portée de son intelligence. Né sous le ciel immortel de la Grèce, nourri depuis l’enfance d’études enthousiastes et sérieuses, il s’était laissé éblouir par le glorieux éclat du passé. La sublime et douloureuse tristesse de la Grèce chrétienne échappait à ses regards : la patrie antique et libre l’emportait en attraits irrésistibles sur la patrie esclave des siècles modernes. Pourquoi cet aveuglement coupable ou incompréhensible du poète ? Pourquoi chanter toujours le bonheur passé en oubliant les nobles consolations qu’il eût été doux et beau d’offrir à la glorieuse martyre ? — On ne saurait le dire. Ses traditions innées remontaient trop haut. Il lui appartenait peut-être de s’écrier en vers contemporains :


— « Paganisme immortel ! es-tu mort ? — On le dit ;
   Mais Pan tout bas s’en moque et la Syrène en rit. »


Pindare et Anacréon étaient demeurés ses dieux et son foyer de lyrisme intérieur. Les rêves sublimes du spiritualisme chrétien, cette seconde et suprême aurore de l’intelligence humaine, ne lui avaient jamais été révélés. Nous ne pensons même pas qu’il les eût compris. André Chénier était païen de souvenirs, de pensées et d’inspirations ; mais il a été le régénérateur et le roi de la forme lyrique, mais un autre esprit puissant et harmonieux lui a succédé pour la gloire de notre France ! le doux et religieux génie nous a révélé un Chénier spiritualiste, disciple du Christ, ce sublime libérateur de la pensée ; un Chénier, grand par le sentiment comme par la forme, M. de Lamartine !

Voici venir notre tâche réelle. — Commençons par avouer que le mouvement poétique que nous désirons apprécier ne se rattache pas tant à une nouvelle vie imprimée par André Chénier à la pensée fondamentale, qu’à la régénération de la forme. Les quelques lignes qui précèdent démontrent assez qu’il lui était peut-être impossible de prêter un aide plus profond, une impulsion plus prononcée à une réaction dont il ne