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devinait pas lui-même toute la portée littéraire et religieuse. Ainsi, quelque grandes que fussent ses facultés poétiques, il n’a réellement et sérieusement fait revivre que la forme éteinte, que l’expression oubliée. Là, toutes les ressources brillantes de son génie se déploient. La facture des vers, la coupe et la phrase pittoresque et énergique que tout un siècle avait bannie, — ont fait de ses poèmes et de ses élégies une œuvre nouvelle et savante, d’une mélodie entièrement ignorée, d’un éclat d’autant plus saillant qu’il était inattendu et plus hardi. Pour s’en convaincre, qu’on veuille bien jeter un rapide regard sur la pensée et la forme lyrique au moment où s’éleva Chénier. L’art n’est plus qu’une méprisable routine, un absurde mélange des traditions païennes et des croyances modernes. — Chute inouïe ! — De la naïveté admirable et primitive du XVIe siècle, on tombe d’abord pour ne s’arrêter qu’à Jean-Baptiste Rousseau ! Puis, viennent la sécheresse, l’emphase, le faux goût, la fadeur et la nullité : Lebrun-Pindare, Lefranc de Pompignan, Lamotte, Marmontel et Dorat ! — Était-ce assez d’humiliations ! — Ces hommes avaient-ils jeté assez de honte et de médiocrité sur l’inspiration lyrique ? — Incapables ou insensés qu’ils étaient, égarés peut-être par de faux prophètes, avaient-ils dépouillé l’œuvre sacrée de ses richesses intimes et extérieures ? — Les quelques fidèles adorateurs qui lui restaient ne voyaient-ils pas tomber comme autant de feuilles fanées, sa grâce, sa délicatesse, son énergie, sa sublime beauté, sous les profanations ineptes ou méditées de l’ignorance et de la fausseté ?… — C’est donc au milieu de cette époque entachée, de cette conflagration générale des médiocrités et des nullités, de ce pêle-mêle littéraire où rien ne surnageait de beau, de grand et de vrai, que parut soudainement un jeune poète aux vierges aspirations, toutes païennes qu’elles fussent, au cœur ardent et sincère, à la parole hardie, neuve et harmonieuse ; — ce fut au milieu de ce chaos sans principe et sans forme que s’éleva André Chénier ! — Comment avait-il