Page:La Vaudère - Les Androgynes, 1903.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
180
LES ANDROGYNES

fleurie et parfumée encore du cher souvenir, et rêva longuement. Tout n’était en elle que demi-teinte, tristesse, sans le soulagement des larmes, qui ne pouvaient monter jusqu’à ses yeux. La vie désormais serait uniforme dans son indifférence, grise, pénible et sans but. À qui s’attacher maintenant que l’amant était parti ? À qui murmurer ces litanies de tendresse que toutes les femmes ont dans le cœur ? Entre ce qu’elle avait souhaité et ce qui s’était réalisé, malgré son dévouement et son abnégation, il y avait la distance qui sépare l’illusion de l’expérience, l’enthousiasme du désenchantement. C’était l’histoire de presque toutes les liaisons, qui commencent en cantiques d’actions de grâce et qui finissent en lamento de deuil. Elle connaissait peu la vie, étant si jeune, mais l’ingratitude humaine l’étonnait déjà comme une monstruosité, un oubli de la nature qui a parfait les formes et les couleurs sans s’inquiéter des âmes. L’appétit d’émotion sentimentale, qui était le trait dominant de son caractère, s’exaspéra dans le vide. Elle n’était point consolée de ses maux par leur grandeur même,