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La jouissance de la liberté ne va pas jusqu’à permettre de la détruire avec une apparence légale. La République a cet honneur d’accorder toutes les libertés — toutes — sauf la licence d’y porter atteinte. Elle donne des armes à tout le monde ; elle en refuse seulement aux insensés qui déclarent impudemment vouloir s’en servir pour la tuer, elle, qui est la sauvegarde des libertés de chacun.

La République a ce privilége de ne pouvoir être renversée que par la force brutale. Ses ennemis ne peuvent légitimement le faire par un vote. Aux royalistes, il faut la framée de Clovis ; aux bonapartistes, il faut la baïonnette de Brumaire, le couteau de Décembre, celui-là même qui a été déposé au pied du roi de Prusse et qu’il n’a pas jugé digne d’être gardé comme trophée. À cela, nous ne pouvons rien. À nous, la Liberté ; à eux, la Force. À chacun son droit, à chacun ses moyens.

Si de M. de Cassagnac nous passons à M. de Mun, l’argument sera plus concluant encore.

Comment ! voilà un homme qui vient affirmer sa foi catholique, sa reconnaissance du droit divin au sein d’une assemblée représentant la souveraineté nationale, et personne ne se lève pour lui dire sans emphase :

« Mais, monsieur, après l’étrange profession de foi que vous venez de nous faire, vous ne pouvez honnêtement rester un instant de plus dans cette enceinte. Vous relevez, dites-vous, de l’autorité de la Foi ; oubliez-vous que le suffrage en vertu duquel vous siégez ici relève de l’autorité de la Raison, que vous bafouez ? Rappelez-vous ce qu’en disent les théologiens vos maîtres. Comme vous vous piquez de loyauté et de logique, tirez de ce fait l’unique conclusion qui en découle : c’est de retourner chez vous pour y attendre les ordres de votre Roy lorsque la force ou une défaillance l’aura restauré. La France a appartenu à Clovis en vertu du même droit que le roi de Prusse possède aujourd’hui l’Alsace et la Lorraine. Vous n’êtes sans doute venu ici que pour nous en faire la déclaration et décliner un mandat que vous tenez d’une autorité illégitime à vos yeux. »

Loin de se retirer, M. de Mun, après son éjection sur le terrain de la pression officielle, a vainement tenté de revenir. Mais passons.

Si le principe des royalistes et des bonapartistes est le même quant au fond, il diffère cependant un peu quant aux procédés. Le roi est roi par la grâce de Dieu et l’abdication des hommes ; l’empereur est aussi empereur par la grâce de Dieu, mais par la volonté des hommes. Voilà toute la distinction. Or abdication et volonté ne constituent qu’un droit individuel qui ne lie légitimement personne, et c’est pourquoi la FORCE intervient qui oblige tout le monde tant qu’elle reste la force, qu’on décore alors du nom de Dieu.

Or, quand les partisans de ces systèmes sont parvenus, par une lutte victorieuse ou par un guet-apens réussi, à constituer un gouvernement, il n’y a plus de citoyens, il y a seulement des sujets : il faut croire aux dogmes enseignés par les prêtres, ou ils vous damnent (au bon temps qu’ils regrettent, ils vous brûlaient) ; il faut obéir aux lois de leurs caprices, ou ils vous privent de votre liberté et même de la vie. Ils favorisent le monopole, font échec à l’égalité ; ils prennent votre temps, votre argent, votre sang sans compter. Ils mutilent la pensée, bâillonnent la presse ; ils arrêtent ou du moins entravent le progrès.

La République veut-elle faire cela ? Non. Avec elle vous votez vos impôts, en déterminez l’emploi ; vous faites vos lois et les appliquez ; la convention est partout, l’arbitraire nulle part ; liberté de la presse, d’association, de réunion, de croire, de nier, de rester, d’aller, de venir.

Mais pour avoir tous ces biens, en jouir, les conserver, il faut absolument écarter du terrain légal les hommes qui veulent les supprimer, les anéantir.