Page:La Vie littéraire, I.djvu/123

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représenterai respectueusement que cette poésie fut belle en sa fraîche nouveauté, qu’elle eut, à son heure, les formes et les couleurs si douces de la jeunesse, qu’alors elle aidait les hommes à supporter l’ennui de vivre, qu’elle donnait à chacun la petite part de beauté dont tous avaient besoin et qu’enfin ces vieilles chansons de geste sont des Iliades barbares. Après quoi je ne ferai pas difficulté de reconnaître qu’à la poésie des trouvères, et à celle des diseurs de lais et de fabliaux, je préfère la poésie moderne, celle de Lamartine, par exemple, et aussi celle de M. Leconte de Lisle.

On sera surpris, sans doute, que je rapproche ces deux noms. Car il est vrai que ce n’est point l’usage. Et il est vrai aussi que rien ne ressemble moins aux vers de Lamartine que les vers de Leconte de Lisle. Dans ceux-ci on admire un art incomparable. Des autres on a dit justement qu’on ne sait pas comment c’est fait. Leconte de Lisle veut tout devoir au talent. Lamartine ne demandait rien qu’au génie. Enfin les contrastes sont tels qu’il serait superflu et même ridicule de les marquer davantage. Pourtant je les admire l’un et l’autre bien sincèrement. Je le fais malgré moi, par plaisir et, comme dit la Fontaine, « pour que cela m’amuse » ; mais n’y serais-je pas amené par une naturelle inclination, que je voudrais le faire encore par hygiène intellectuelle.

Cela me paraît un bon exercice pour l’esprit. Il me semble qu’on a moins de chances de se tromper tout à