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M. LECONTE DE LISLE.

a fait dans son admiration quand on admire des choses très diverses. Je puis l’avouer sans crainte, après l’avoir si peu caché : je suis sûr de très peu de choses en ce monde. Je ne parle que de ce monde, ayant de bonnes raisons pour ne rien dire des autres. Or, une des choses qui me semblent le plus échapper sur la terre à la certitude humaine, c’est la qualité d’un vers. J’en fais une affaire de goût et de sentiment. Je ne croirai jamais qu’il y ait rien d’absolu à cet égard. M. Leconte de Lisle le croit.

C’est d’ailleurs un sceptique. Il a sur le monde et la vie des idées très arrêtées. Sa philosophie, qui sut tant de fois, et avec une tristesse si magnifique, inspirer ses vers, est une philosophie pyrrhonienne dans laquelle il n’y a pas de place pour une seule affirmation. Je ne sais si je suis, puisque je ne sais pas ce que c’est qu’être, dit-il constamment. L’illusion m’enveloppe de toutes parts. La vie est un rêve, amusé par des images qui n’ont point de signification possible :

Éclair, rêve sinistre, éternité qui ment,
La Vie antique est faite inépuisablement
Du tourbillon sans fin des apparences vaines.

Eh bien, ce philosophe qui nie si fermement l’absolu, qui croit que tout est relatif, que ce qui est bon pour l’un est mauvais pour l’autre, et qu’enfin les choses ne sont que ce qu’on les voit, ce même esprit change brusquement de manière de voir quand