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SUR LE QUAI MALAQUAIS.

promène, égayée par le soleil d’avril. Elle va, la voilette sur le nez ou le cigare aux lèvres, et je vous assure qu’elle se soucie infiniment peu de Voltaire et de Corneille. La faim et l’amour l’occupent assez. Elle pense à ses affaires, à ses plaisirs, et laisse aux savants le soin de juger les grands morts. Je distingue précisément parmi cette postérité qui sort de l’Institut un joli visage coiffé d’un chapeau couleur du temps. C’est celui d’une jeune femme qui me demandait, un soir de cet hiver, à quoi servaient les poètes. Je lui répondis qu’ils nous aidaient à aimer ; mais elle m’assura qu’on aimait fort bien sans eux. La vérité est que les professeurs et les savants forment à eux seuls toute la postérité. Ce sont donc les savants que vous croyez infaillibles. Mais non, car vous savez bien que la poésie et l’art ne relèvent que du sentiment, que la science ne connaît point la beauté et qu’un vers tombé aux mains d’un philologue est comme une fleur entre les doigts d’un botaniste.

Ah ! certes, les conclusions de la postérité ne sont point infaillibles ; elles dépendent beaucoup du hasard. J’ajouterai qu’elles ne sont jamais définitives, quoi qu’en ait dit M. Alexandre Dumas.

Et comment le seraient-elles, puisque la postérité n’est jamais close et que les générations nouvelles remettent sans cesse en question ce qui a été précédemment jugé ?

Le dix-septième siècle a condamné Ronsard ; le dix-huitième siècle a confirmé ce jugement ; le dix-