Page:La Vie littéraire, I.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
SUR LE QUAI MALAQUAIS.

neuvième l’a cassé. Qui sait comment jugera le vingtième ? Dante et Shakespeare furent méprisés pendant longtemps avant d’être admirés comme ils le sont aujourd’hui. Racine fut outragé après un siècle de gloire. Il ne l’est plus. Mais la langue change vite ; il faut déjà être un lettré pour bien comprendre les vers de Phèdre et d’Athalie.

J’ai entendu un excellent poète reprocher à Racine des impropriétés d’expression. Il ne voulait pas convenir que la langue eût changé depuis deux siècles, afin, peut-être, de ne pas s’avouer qu’elle changerait encore, et cette fois à son préjudice. Corneille et Molière lui-même sont mal compris ; les comédiens qui les jouent y font à chaque instant des contresens. On parle communément de Rabelais, mais comme de la reine Berthe, sans savoir le moins du monde ce que c’est. Il y a des gloires qui s’éteignent. Celle du Tasse est mourante. Du Bartas fut, de son vivant, plus célèbre que Ronsard. Qui nous assure que sa gloire ne renaîtra pas ? Gœthe le considérait comme le plus grand des poètes français, et nos jeunes symbolistes l’aiment beaucoup. Il y a vingt ans, Lamartine était déjà abandonné, tandis que Musset restait l’objet d’une ferveur qui s’est peu à peu refroidie. Tous deux retrouvent aujourd’hui des fidèles. Ainsi la postérité ballotte les épaves du génie.

Victor Hugo gardera-t-il mort la place qu’il a occupée vivant ? M. Alexandre Dumas est sage d’en douter. Il est sage aussi de ne pas faire d’avance la