Page:La Vie littéraire, I.djvu/139

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part de la destruction. Quel jugement l’avenir portera-t-il sur Victor Hugo ? C’est ce que personne n’est en état de deviner. Nous ne pouvons savoir ce que pensera la postérité, puisque nous ne savons ce qu’elle sera. Il est vain de vouer les gloires contemporaines soit à l’immortalité, soit à l’oubli.

On peut dire seulement que la gloire du poète dont on a mené hier la dernière pompe funèbre traverse un moment difficile et critique. L’enthousiasme, lassé par un excessif effort de quinze années, retombe. Certaines illusions se dissipent. On croyait qu’un si grand poète avait pensé davantage.

Il faut bien reconnaître qu’il a remué plus de mots que d’idées. C’est une souffrance que de découvrir qu’il donna pour la plus haute philosophie un amas de rêveries banales et incohérentes. Enfin on est attristé, en même temps qu’effrayé, de ne pas rencontrer dans son œuvre énorme, au milieu de tant de monstres, une seule figure humaine.

Les Grecs l’ont dit : l’homme est la mesure de toutes choses. Victor Hugo est démesuré parce qu’il n’est pas humain. Le secret des âmes ne lui fut jamais entièrement révélé. Il n’était pas fait pour comprendre et pour aimer. Il le sentit d’instinct. C’est pourquoi il voulut étonner ; il en eut longtemps la puissance. Mais peut-on étonner toujours ? Il vécut ivre de sons et de couleurs, et il en soûla le monde. Tout son génie est là : c’est un grand visionnaire et un incomparable artiste. C’est beaucoup. Ce n’est pas tout.