Page:La Vie littéraire, I.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

morts ou mal nourris, des mauvais chemins, de la rareté des fourrages, de la paille, des pommes de terre, du fumier ; il aime aussi la nature pour le mystère infini qui est en elle. Il a le sentiment de la beauté des choses. En 1862, pendant le séjour à jamais funeste qu’il fit en France, il visita la Touraine. En revenant de Chambord, il écrivit à la princesse de Bismarck : « Tu ne peux te faire une idée, d’après les échantillons de bruyère que je t’envoie, du violet rosé que revêt dans ce pays ma fleur préférée. C’est la seule qui fleurisse dans le jardin royal, comme l’hirondelle est la seule créature vivante qui habite le château. Il est trop solitaire pour le moineau. » Chez lui, la machine animale est d’une force prodigieuse ; elle est aussi d’une capacité et d’une exigence peu communes. M. de Bismarck est un des plus grands buveurs de son temps. Bière, vin de Champagne, vin de Bourgogne, vin de Bordeaux, tout lui est bon. Il étonna les cuirassiers de Brandebourg en vidant d’un trait le hanap du régiment, qui contenait une bouteille. Un jour, à la chasse, il avala d’une haleine ce que contenait de champagne une énorme corne de cerf percée des deux bouts. Étant à Bordeaux, en 1862, il fit grand honneur aux crus du Médoc et puis s’en vanta justement. « J’ai bu, écrivit-il, du laffitte, du pichon, du mouton, du latour, du margaux, du saint-julien, du brame, du laroze, de l’armaillac et autres vins. Nous avons à l’ombre 30 degrés et au soleil 55, mais on ne pense