Page:La Vie littéraire, I.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
156
TROIS POÈTES.

connaissance de tous ceux qui lurent vos vers dans leur jeunesse : vous les avez aidés à aimer. » C’est à cela que servent les poètes. Et c’est pour cela qu’ils nous sont chers. Ils mettent la lumière en même temps que la parole sur nos joies confuses et sur nos obscures douleurs ; ils nous disent ce que nous sentons vaguement ; ils sont la voix de nos âmes. C’est par eux que nous prenons une pleine conscience de nos voluptés et de nos angoisses. M. Sully-Prudhomme a accompli cette mission délicate avec un bonheur mérité. Il avait, pour y réussir, non seulement les dons mystérieux du poète, mais encore une absolue sincérité, une inflexible douceur, une pitié sans faiblesse et cette candeur, cette simplicité sur lesquelles son scepticisme philosophique s’élève comme sur deux ailes dans les hautes régions où jadis la foi ravissait les mystiques. On chercherait en vain un confident plus noble et plus doux des fautes du cœur et de l’esprit, un consolateur plus austère et plus tendre, un meilleur ami. Son athéisme est si pieux, qu’il a semblé chrétien à certaines personnes croyantes. Son désespoir est si vertueux, qu’il ressemble à l’espérance pour ceux qui font de l’espérance une vertu. C’est une heureuse illusion que celle des âmes simples qui croient que ce poète est religieux ; n’a-t-il pas gardé de la religion la seule chose essentielle, l’amour et le respect de l’homme ?

Sa pensée, suivant son cours naturel, a passé du sentiment à la réflexion, de l’amour à la philosophie,