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TROIS POÈTES.

de l’élégie au poème didactique, et le poète du Vase brisé est devenu le poète de la Justice. Il ne pouvait se flatter d’être suivi jusqu’au bout par tous ceux qui d’abord lui avaient fait cortège. Beaucoup qu’il avait aidés à aimer ne lui demandèrent pas qu’il les aidât à penser. Comment s’en étonner, puisque tous nous sommes si bien faits pour sentir et si mal pour comprendre ? La poésie philosophique n’est pas bonne pour le grand nombre. Les trois quarts d’entre nous sont comme ce prince de la comédie de Shakespeare qui voulait que tous les livres de sa bibliothèque fussent bien reliés et qu’ils parlassent d’amour. C’est pourquoi la Justice n’est pas, comme les Stances et Poèmes, dans tous les cœurs généreux et sur toutes les lèvres aimantes. Pourtant, quel beau manuel de philosophie ! Jamais le mal universel n’avait été envisagé d’un cœur aussi pur, enseigné d’une voix aussi douce. M. Sully-Prudhomme laisse le blasphème aux enfants. Il ne déclame jamais. Sa tristesse est infinie et sereine comme la nature qui la cause. Il semble que le poète se soumette aux harmonies de la douleur universelle avec une sorte de joie, parce que ce sont des harmonies encore. N’en fait-il pas la plus concise et la plus noble des idylles dans les dix vers que voici :

La nymphe bat le vieux Silène
Avec un sceptre d’églantier
Qu’un zéphir bat de son haleine,
Et dont la fleur bat le sentier