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TROIS POÈTES.

Et Silène à trotter condamne
Son baudet tardif et têtu ;
Il le bat, et, du pied de l’âne,
Le gazon naissant est battu.

Et personne, églantiers, zéphirs,

Bêtes ni gens, n’en est surpris.
 

Je crois que le Bonheur entrera plus vite et plus profondément que la Justice dans la conscience du monde intelligent. Le poète, à en juger par les fragments déjà publiés, s’y révèle avec une aisance nouvelle et dans toute sa plénitude. Et puis le sujet est heureux et nous touche profondément. Nous nous soucions en somme assez peu de la justice. Au sens philosophique du mot, ce n’est rien ; au sens vulgaire, c’est la plus triste des vertus. Personne n’en veut. La foi lui oppose la grâce, et la nature l’amour. Il suffit qu’un homme se dise juste pour qu’il inspire une véritable répulsion. La justice est en horreur aux choses et aux êtres. Dans l’ordre social, elle n’est qu’une machine, indispensable sans doute, et par là respectable, mais cruelle à coup sûr, puisqu’elle n’a d’autre fonction que de punir et qu’elle met en œuvre les geôliers et les bourreaux. Le poète, je n’ai pas besoin de le dire, ne s’inquiétait nullement de celle-là. Il cherchait la plus illustre des inconnues, la justice de Dieu. C’est elle qu’il poursuivit à travers les générations des hommes, des animaux et des plantes, et par delà la cellule germinative jusque dans