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LES FOUS DANS LA LITTÉRATURE.

C’est un bonheur pour M. Dick d’être né en Angleterre. La liberté individuelle y est plus grande qu’en France. L’originalité y est mieux vue, plus respectée que chez nous. Et qu’est-ce que la folie, après tout, sinon une sorte d’originalité mentale ? Je dis la folie et non point la démence. La démence est la perte des facultés intellectuelles. La folie n’est qu’un usage bizarre et singulier de ces facultés.

J’ai connu dans mon enfance un vieillard qui était devenu fou en apprenant la mort d’un fils unique, enseveli, à vingt ans, sous une avalanche du Righi. Sa folie consistait à s’habiller de toile à matelas. À cela près, il était parfaitement sage. Tous les petits polissons du quartier le suivaient dans la rue en poussant des cris sauvages. Mais, comme il joignait à la douceur d’un enfant la vigueur d’un colosse, il les tenait en respect, leur faisant assez de peur sans leur faire aucun mal. En cela, il donnait l’exemple d’une excellente police. Quand il entrait dans une maison amie, son premier soin était de dépouiller l’espèce du souquenille à grands carreaux qui le rendait ridicule. Il l’arrangeait sur un fauteuil de manière qu’elle semblât autant que possible recouvrir un corps humain. Il y plantait sa canne comme une sorte de colonne vertébrale, puis il coiffait la pomme de cette canne avec son grand chapeau de feutre, dont il rabattait les bords et qui prenait sous ses doigts un aspect fantastique. Quand cela était fait, il contemplait un moment sa défroque de l’air dont on regarde un vieil ami malade