Page:La Vie littéraire, I.djvu/229

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dats, punis de leur gloire, obéissaient en frémissant à des fils d’émigrés. Ils entendaient crier le sang des héros dont ils avaient été les compagnons et qu’on avait indignement mis à mort : Ney, les deux frères Fauchet, Labédoyère, Mouton-Duvernet, Charton, sans compter le brave colonel Boyer de Peyreleau, condamné à la peine capitale pour avoir défendu la Guadeloupe contre les Anglais, sous le drapeau tricolore. Cette armée, justement irritée, désespérée, pleine de regrets aussi grands que ses souvenirs et haïssant ses drapeaux neufs, était travaillée par les nombreuses sociétés secrètes que les libéraux organisaient autour d’elle. La charbonnerie, née sur la terre classique des complots, dans les cabanes des Abruzzes, établissait dans toute la France ces réunions mystérieuses qu’elle nommait des ventes, parce qu’à l’origine les conjurés se donnaient pour des charbonniers vendant leur charbon. Ceux-ci et les « chevaliers de la Liberté », qui leur étaient affiliés, tramaient sans relâche des complots militaires, débauchant des officiers et des sous-officiers auxquels ils faisaient courir plus de dangers qu’ils n’en couraient eux-mêmes.

Carrel était alors sous-lieutenant au 29e de ligne, qui tenait garnison dans Belfort et Neuf-Brisach. Très jeune, très ardent, amoureux du péril autant que de la liberté, il entra dans un complot qui avait pour but de soulever les garnisons de l’Est et de proclamer un gouvernement provisoire. Une nuit, il quitta secrètement sa compagnie, qui était à Neuf-Brisach, et