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LA VIE LITTÉRAIRE.

Les visites des candidats chatouillaient ce cœur de quatre-vingts ans. Les petites affaires du Palais Mazarin le transportaient. Eh quoi ! ne faut-il pas amuser la vie jusqu’au bout ?

C’était un vif vieillard qui s’échauffait sur la littérature et sur la grammaire. Sa conversation était nourrie de morale et d’histoire ; elle avait moins de finesse que de vigueur et était coupée de citations latines faites avec bonhomie. Il appliquait volontiers Virgile aux soins domestiques, et demandait à boire avec un hémistiche de l’Énéide.

Ses livres, rangés tout autour de son cabinet dans un ordre minutieux, composaient une bonne bibliothèque de travail, à laquelle ne manquaient ni les classiques ni les collections de mémoires. Un jour qu’il m’avait fait l’honneur de me recevoir dans cette pièce, il se leva soudainement au milieu d’une conversation dont il faisait tous les frais avec ses souvenirs, et il me demanda affectueusement mon bras pour faire le tour de la chambre. Il était tout à fait aveugle alors. Je l’aidai à faire la revue de sa bibliothèque. Il s’arrêtait à chaque instant, mettait la main sur un livre et, le reconnaissant au toucher, il le désignait par son titre. Tout à coup sa main passa sur les tranches dorées d’un Cicéron que je vois encore. C’est une édition du dernier siècle, en vingt ou vingt-cinq volumes in-octavo ; l’exemplaire porte une reliure de veau fauve. En le caressant de ses doigts tremblants, le vieillard frissonna.