Page:La Vie littéraire, I.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres. » Mais bientôt il s’apercevra que nous souffrons, et toute notre grandeur lui sera révélée. Alors vous l’entendrez murmurer : « Ils naissent infirmes, souffrants, affamés, destinés à s’entre-dévorer. Et ils ne se dévorent pas tous. J’en vois même qui, dans leur grande détresse, tendent les bras les uns vers les autres. Ils se consolent et se soutiennent entre eux. Comme soulagement ils ont inventé les industries et les arts. Ils ont même des poètes pour les amuser. Leur dieu avait créé la maladie : ils ont créé le médecin et ils s’emploient de leur mieux à réparer la nature. La nature a fait le mal, et c’est un grand mal. C’est eux qui font le bien. Ce bien est petit, mais il est leur ouvrage. La terre est mauvaise : elle est insensible. Mais l’homme est bon parce qu’il souffre. Il a tout tiré de sa douleur, même son génie. »

Voilà comment parlerait, ce me semble, un ange nourri de saine philosophie. Et il se garderait bien, s’il en avait le pouvoir, d’extirper de ce monde le levain amer de sa grandeur et de sa beauté.

Nous apprendrions de lui qu’il faut savoir souffrir et que la science de la douleur est l’unique science de la vie. Ses leçons nous inspireraient la patience, qui est le plus difficile des héroïsmes, l’héroïsme constant. Elles nous enseigneraient la clémence et le pardon ; elles nous enseigneraient la résignation, je veux dire la résignation dans l’effort, qui consiste à frapper toujours le mal, sans nous irriter jamais de son invulnérable immortalité.