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GEORGE SAND.

sentir en elle le Dieu inconnu. Ne nous laissons point tromper par les grands mots d’art et de vérité. Le secret du beau est à la portée des petits enfants. Les humbles le devinent quelquefois plus vite que les superbes. Aimer, c’est embellir ; embellir, c’est aimer.

L’art naturaliste n’est pas plus vrai que l’art idéaliste. M. Zola ne voit pas l’homme et la nature avec plus de vérité que ne les voyait madame Sand. Il n’a pour les voir que ses yeux comme elle avait les siens. Le témoignage qu’il porte des choses n’est qu’un témoignage individuel. Il nous dit comment la nature vient se briser contre lui : ni plus ni moins ; mais il ne sait ce qu’est l’univers, ni s’il est. Naturalistes et idéalistes sont également les jouets des apparences ; ils sont, les uns et les autres, en proie au spectre de la caverne. C’est ainsi que Bacon appelait le principe de notre éternelle ignorance, de l’ignorance à laquelle la condition d’homme nous condamne, murés que nous sommes en nous-mêmes comme dans un rocher, et solitaires, hallucinés, au milieu du monde. Eh bien, puisque tous les témoignages que nous portons de la nature ont aussi peu de réalité objective les uns que les autres, puisque toutes les images que nous nous faisons des choses correspondent non pas aux choses elles-mêmes, mais seulement aux états de notre âme, pourquoi ne point rechercher et goûter de préférence les figures de grâce, de beauté et d’amour ? Songe pour songe, pourquoi