Page:La Vie littéraire, I.djvu/40

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d’une intelligence aiguë, qu’affina la pratique des affaires. Il ne s’est pas piqué de littérature plus qu’il ne convenait. Il n’est point tombé dans le travers de Philippe, roi de Macédoine, qui voulait s’entendre en chansons mieux que les chansonniers. Il a voulu rester l’homme qui goûte et qui sent. Il a bien fait ; car son goût est fin et son sentiment juste. Pourtant, je le contredirai sur deux points, parce que, s’il faut toujours dire la vérité, c’est surtout aux triomphateurs qu’on doit la faire entendre. Mon principal grief est qu’il a passé un peu lestement sur les romans de Sandeau ; il n’a même pas nommé la Maison de Penarvan. Je reviendrai tout à l’heure sur ce sujet. Mon second reproche s’applique à un certain portrait qu’il a fait incidemment, en quelques traits rapides, d’une inexactitude que je tiens pour exemplaire. Il nous a montré « un maître charmant, plein de tact et de mesure, un poète très fin, qui dit les choses sans appuyer, laissant ainsi à l’auditoire le plaisir de croire qu’il collabore, en l’écoutant, avec l’homme d’esprit qui a écrit la pièce »… En ce maître charmant, en le fin poète, en cet homme d’esprit, il veut nous faire reconnaître M. Émile Augier. J’y éprouve, pour ma part, quelque peine, et j’affirme que le portrait manque de ressemblance. Ce n’est pas que l’auteur du Fils de Giboyer soit dépourvu de finesse et de mesure ; mais ses qualités essentielles sont tout autres. Il ne dit pas les choses sans appuyer : il appuie au contraire avec une heureuse rudesse. Il est robuste,