Page:La Vie littéraire, II.djvu/125

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qu’une masse inerte quand il va se loger avec fracas dans le clocher d’une pauvre église de village. Aucune des générations innombrables qui l’avaient habité dans sa période féconde n’avait soupçonné ni le point du départ, ni le point d’arrivée, ni le but du voyage. Les sages du boulet avaient dit avec raison : « Il faut renoncer à connaître l’inconnaissable. » Mais les âmes anxieuses jetées par l’aveugle destinée sur le projectile en marche avaient tour à tour adoré et blasphémé Dieu, cru, douté, désespéré. Là, des âges immémoriaux s’étaient déroulés en trois de nos secondes. Ce boulet, c’est la terre, et la race intelligente qui y accomplit ses riches destinées d’un instant, c’est l’humanité. Nous sommes trop petits pour regarder voler les astres. Pourtant, ils volent comme des oiseaux de mer, en cercles harmonieux. Nous durons trop peu de temps pour voir les constellations changer de figure. La Grande Ourse nous semble à jamais immobile. Pourtant, la Grande Ourse, dans quelques milliers de siècles, présentera aux habitants de la Terre un visage nouveau. Mais les amants d’alors, qui la contempleront en se tenant par la main, la salueront aussi tout frissonnants, comme l’immuable témoin de leur joie éphémère. Et l’humanité aura vécu sans savoir d’où viennent et où s’en vont ces papillons dont le ciel est le jardin.

Depuis peu, l’astronomie a jeté de nouveaux épouvantements dans l’imagination des hommes. Elle nous a montré une petite étoile qui vacille et elle nous a dit : « Celle-ci du moins est notre voisine, et de toutes la plus rapprochée. C’est l’alpha du Centaure. Si les astres