Page:La Vie littéraire, II.djvu/199

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délicieux de voir ainsi quelque gaminerie accompagner tant de docte et poétique talent ; nous en jouissons comme d’un spectacle rare. Le pédantisme étant l’habitude ordinaire des gens considérables, nous sommes émerveillés quand un homme de mérite pousse le naturel jusqu’à une certaine effronterie. Quel oubli de soi s’y révèle, quelle simplicité et aussi quelle philosophie ! Mais ce qu’il y a peut-être de plus aimable en M. Lemaître, c’est la tristesse soudaine qui lui prend d’avoir été cruel dans son espièglerie, et sans pitié. Ce sont ses brusques attendrissements. Car il y a de tout, et même de la mélancolie, dans cette âme mobile, fluide, légère et charmante comme celle de quelque Puck qui aurait fait ses humanités.

M. Jules Lemaître est un esprit très avisé et très subtil dont l’heureuse perversité consiste à douter sans cesse. C’est l’état où l’a réduit la réflexion. La pensée est une chose effroyable. Il ne faut pas s’étonner que les hommes la craignent naturellement. Elle a conduit Satan lui-même à la révolte. Et pourtant Satan était un fils de Dieu. Elle est l’acide qui dissout l’univers, et, si tous les hommes se mettaient à penser à la fois, le monde cesserait immédiatement d’exister ; mais ce malheur n’est pas à craindre. La pensée est la pire des choses. Elle en est aussi la meilleure. S’il est vrai de dire qu’elle détruit tout, on peut dire aussi justement qu’elle a tout créé. Nous ne concevons l’univers que par elle et, quand elle nous démontre qu’il est inconcevable, elle ne fait que crever la bulle de savon qu’elle avait soufflée.

C’est proprement ce à quoi M. Jules Lemaître s’occupe