Page:La Vie littéraire, II.djvu/238

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elle s’engage, la poésie ne manquera pas de tourner le dos à la foule. Il estime cette séparation nécessaire et croit qu’il faut tirer chacun de son côté. « Le public, dit-il, et les poètes ne suivent guère le même chemin. De lui à nous, l’écart s’accentue sans cesse ; et, veuillez le remarquer, notre langue même, si nous la gardons pure, l’éloigne de nous, car il a peu à peu perverti l’instrument merveilleux et ne sait plus guère se repaître que des termes impropres et de métaphores mal faites, des choses sans nom. »

À la place de M. Charles Morice, j’en prendrais mon parti moins aisément. Il n’est pas bon pour un poète de vivre seul. Les poètes sont vains et tendres : ils ont besoin d’être admirés et aimés. Leur orgueil s’exaspère dans la solitude, et, quand on ne les écoute pas, ils chantent faux. Le dédain est très séant aux philosophes et aux savants ; chez les artistes, il n’est qu’une grimace. Et pourquoi le poète ne se plairait-il pas à être écouté de beaucoup ? Il parle au sentiment, et le sentiment est plus répandu que l’intelligence.

Je sais bien qu’il n’y a pas de sentiments exquis sans une certaine culture intellectuelle. Il faut une préparation morale pour goûter la poésie. Mais les âmes ainsi préparées sont plus nombreuses qu’on ne croit ; elles forment le public des poètes. Quand on est poète, on ne doit pas les dédaigner.

M. Charles Morice nous répondra que c’est le grand public qu’il méprise, la foule, le vulgaire profane. Il est certain qu’en art celui-là ne compte pas. Il nous