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anthologie.

Raynal composait avec émotion l’Histoire philosophique des sauvages américains. C’est pour lui que Cook et Bougainville firent connaître des hommes jaunes pleins de simplicité et des jeunes filles vêtues de fleurs à un monde très civilisé qui, par raffinement, s’éprenait de la nature. C’est pour lui que les femmes sensibles rêvaient dans des jardins anglais de Paméla, de Clarisse et de Julie. C’est pour lui que les grands seigneurs étaient anglomanes, philanthropes et licencieux. C’est pour lui que pensaient, observaient, travaillaient Buffon, d’Alembert, Diderot et les encyclopédistes ; pour lui que Voltaire exalta la tolérance, Rousseau la nature, d’Holbach l’athéisme, Mirabeau la liberté. Il fut tout ce qu’était son temps : néo-grec, didactique, encyclopédiste, érotique, romanesque, sensible, sentimental, tolérant, athée, feuillant. C’est dans les jardins anglais qu’il vit la nature ; son goût de l’antique ne fut en réalité que le goût Louis XVI. Je l’en loue, d’ailleurs, et l’en admire. Il eût fait du pastiche s’il n’eût fait du Louis XVI Il aime, il comprend, il embrasse le xviiie siècle.

Il ne devine, il ne pressent rien du nôtre. Novateur ! personne ne le fut moins. Il est étranger à tout ce que l’avenir prépare. Rien de ce qui va fleurir n’est en germe en lui. C’est un vrai contemporain de Suard et de Morellet. Il n’a soupçonné ni le spiritualisme, ni la mélancolie de René, ni l’ennui d’Obermann, ni les ardeurs romanesques de Corinne. Il n’a prévu ni les curiosités métaphysiques ni les inquiétudes littéraires qui entraînaient madame de Staël et Benjamin Constant