Page:La Vie littéraire, II.djvu/302

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n’ai qu’une idée, c’est qu’il faut partir. Oh ! ce n’est pas l’ombre, la pluie et le froid qui me chassent. La campagne me plaît encore quand elle n’a plus de sourires. Je ne l’aime pas pour sa joie seulement. Je l’aime parce que je l’aime. Ceux que nous aimons nous sont-ils moins chers dans leur tristesse ? Non, je quitte avec peine ces bois et ces vignes. J’ai beau me dire que je retrouverai à Paris la douce chaleur des foyers amis, les paroles élégantes des maîtres et toutes les images des arts dont s’orne la vie, je regrette la charmille où je me promenais en lisant des vers, le petit bois qui chantait au moindre vent, le grand chêne dans le pré où paissaient les vaches, les saules creux au bord d’un ruisseau, le chemin dans les vignes au bout duquel se levait la lune ; je regrette ce maternel manteau de feuillage et de ciel dans lequel on endort si bien tous les maux.

D’ailleurs, j’ai toujours éprouvé à l’excès l’amertume des départs. Je sens trop bien que partir c’est mourir à quelque chose. Et qu’est-ce que la vie, sinon une suite de morts partielles ? Il faut tout perdre, non point en une fois, mais à toute heure ; il faut tout laisser en chemin. À chaque pas nous brisons un des liens invisibles qui nous attachent aux êtres et aux choses. N’est-ce pas là mourir incessamment ? Hélas ! cette condition est dure ; mais c’est la condition humaine. Vais-je m’en affliger ? Vais-je donner le spectacle de mes vaines tristesses ? Resterai-je là, devant la cheminée, écoutant tomber la pluie, regardant les langues rapides du feu lécher les sarments et me désolant sans raison ? Non