un vieux livre, sous la lampe, le soir, quand la chambre est chaude. N’être troublé par rien et pourtant rêver ! car je rêvais alors et tous les personnages de ma vieille bible venaient, dès que j’étais couché, défiler devant mon petit lit à galerie. Oui, les rois portant le sceptre et la couronne, les prophètes à longues barbes, drapés sous un éternel coup de vent, passaient dans mon sommeil avec une majesté mêlée de bonhomie. Après le défilé, ils s’allaient ranger d’eux-mêmes dans une boîte de joujoux de Nuremberg. C’est la première idée que je me suis faite de David et d’Isaïe.
Tous nous l’avons eue plus ou moins ; tous nous avons feuilleté, autrefois, une vieille Bible en estampes. Tous nous nous sommes fait de l’origine du monde et des choses une idée simple, enfantine et naïve. Il y a quelque chose d’émouvant, ce me semble, à rapprocher cette idée puérile de la réalité telle que la science nous la fait toucher. À mesure que notre intelligence prend possession d’elle-même et de l’univers, le passé recule indéfiniment et nous reconnaissons qu’il nous est interdit d’atteindre aux commencements de l’homme et de la vie. Si avant que nous remontons les temps, des perspectives nouvelles, des profondeurs inattendues s’ouvrent sans cesse devant nous ; nous sentons qu’un abîme est au delà. Nous voyons le trou noir et l’effroi gagne les plus hardis. Ce berger nomade qu’on nous montre entouré, dans la nuit du désert, des ombres des Elohim, il était le fils d’une humanité déjà vieille et, pour ainsi dire, aussi éloignée que la nôtre du commun