Page:La Vie littéraire, II.djvu/377

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne saurait se frotter, à ces doctes buissons sans s’y piquer un peu ; mais les connaisseurs y goûtent, sous des écorces de formes bizarres, plus d’un fruit savoureux.

C’est hier, disions-nous, que j’ai rencontré M. Ernest Prarond dans le petit cabinet de travail où le bon Asselineau, entouré de dessins de Nanteuil, feuilletait les éditions romantiques qui lui rappelaient sa jeunesse. Pendant la Commune, il avait fait son service à la bibliothèque Mazarine avec une exactitude héroïque. Quand les fédérés roulaient dans la galerie, pleine de trésors littéraires, des tonneaux de pétrole, ils trouvaient devant eux un vieux monsieur très poli et très entêté qui les déterminait par la force du raisonnement à remporter leurs engins incendiaires. La bibliothèque fut sauvée, mais Asselineau mourut l’année suivante de douleur et de stupeur. Je me rappelle encore ce galant homme frappé mortellement dans son patriotisme et dans ses habitudes ; mais poli, mais souriant, faisant en sage les honneurs de sa table modeste et songeant, j’imagine, à reprendre pour lui l’épitaphe que Boufflers fit mettre sur sa tombe : « Mes amis, croyez que je dors. »

Ce jour-là, je goûtai non sans infiniment de plaisir le tour imprévu de l’esprit de M. Ernest Prarond. Avec quelle subtilité son intelligence pénétrait les choses, et comme il savait rendre original même le patriotisme ! Sa conversation avait l’éclat brisé de l’éclair. Depuis— car il y a de cela dix-huit ans qui se sont écoulés comme un jour— M. Prarond, retiré sous quelque vieux toit