Page:La Vie littéraire, II.djvu/376

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collégiale et à l’ombre du noir donjon carré de la maison de ville. Ces murs, me disais-je, vieux témoins des combats et des désirs des hommes, ces pierres parlantes dont, passant distrait, je devine à peine le sens vulgaire, que de secrets touchants n’ont-elles pas confié à l’historien poète des cinq villes et des trois cents villages du Ponthieu ! Heureux ceux pour qui les pierres tombales n’ont que des paroles de vie et qui, sous la mousse qui recouvre des images à demi brisées, retrouvent des symboles éternels ! Heureux les rares archéologues en qui la lettre n’a pas tué l’esprit !

C’est hier, il me semble, que j’ai vu M. Ernest Prarond pour la première fois ; hier, vraiment, en 1871, au lendemain de la guerre et de la Commune, dans ce petit logis de la rue du Four-Saint-Germain où Charles Asselineau finissait de vivre avec la politesse d’un bourgeois de Paris et la grâce d’un lettré. Depuis, la vie ne m’a pas ménagé beaucoup de rencontres avec le poète abbevillois. Pourtant, la physionomie de M. Prarond est restée dans ma mémoire et j’aime à me la rappeler. C’est celle d’un homme robuste, très simple et très fin et de grand ton : un large visage ouvert où brille un oeil fâché. Cet oeil-là, je le retrouve dans les vers généreux du poète, vers parfois irrités. M. Prarond eut à ses débuts, aux environs de 1848, une manière gaie, un peu narquoise ; ce que M. Philippe de Chennevières appelle « la leste bonhomie des vieux conteurs du nord de la France » . Il s’est fait depuis un nouveau style, savant, compliqué, tourmenté, et certes original. Le bon public