Page:La Vie littéraire, II.djvu/39

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qu’ai-je dit ? Les petits enfants remontent plus haut que l’humanité même. Ils reproduisent non seulement les idées des hommes de l’âge de pierre, mais encore les idées des bêtes. Ce sont là aussi, croyez-le bien, des idées religieuses. Saint François d’Assise avait deviné, dans sa belle âme mystique, la piété des animaux. Il ne faut pas observer un chien bien longtemps pour reconnaître que son âme est pleine de terreurs sacrées. La foi du chien est, comme celle de l’enfant, un fétichisme prononcé. Il serait impossible d’ôter de l’esprit d’un caniche que la lune est divine.

Or, comme les enfants naissent religieux, ils ont le culte de leurs joujoux. C’est à leurs joujoux qu’ils demandent ce qu’on a toujours demandé aux dieux : la joie et l’oubli, la révélation des mystérieuses harmonies, le secret de l’être. Les jouets, comme les dieux, inspirent la terreur et l’amour. Les poupées, que les jeunes Grecques appelaient leurs Nymphes, ne sont-elles pas les vierges divines de la première enfance ? Les diables qui sortent des boîtes ne représentent-ils pas, comme la Gorgone des Hellènes et comme le Belzébuth des chrétiens, l’alliance sympathique de la laideur sensible et du mal moral ? Il est vrai que les enfants sont familiers avec leurs dieux ; mais les hommes n’ont-ils donc jamais blasphémé le nom des leurs ? Les enfants cassent leurs polichinelles. Mais quels symboles l’humanité n’a-t-elle pas brisés ? L’enfant, comme l’homme, change sans cesse d’idéal. Ses dieux sont toujours imparfaits parce qu’ils procèdent nécessairement de lui.