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DE LA LANGUE BRETONNE.

campagne, ne se trouvant pas d’églises assez grandes pour contenir leurs auditeurs ; et que près de quatre cent mille âmes n’eussent l’obligation au saint vieillard, avant sa mort, de ce qu’elles eussent été mises, par ses instructions, dans les voies du salut [1]. »

Telle fut la mission de Michel Le Nobletz. Elle méritait une place importante dans l’histoire d’une langue qu’il avait prêchée pendant toute sa vie, dans laquelle il avait si souvent chanté, et qu’il eut, à son lit de mort, une si particulière consolation à entendre de la bouche d’un de ses disciples, qui lui lisait en breton, quand il expira, l’histoire des douleurs de Jésus-Christ. Quoiqu’il eût demandé à être inhumé au lieu où Ton enterrait les pauvres, son corps ne fui pas confondu avec eux. On lui éleva un tombeau en marbre, dans une église qu’il aimait, bâtie au bord de la mer, et dont le cimetière devait un jour donner asile aux restes mortels du législateur moderne de la langue bretonne. Son convoi, dit, en finissant, l’auteur contemporain souvent cité par nous, ne fut pas celui d’un particulier, mais comme celui du père des peuples et de la patrie [2]. Jamais, en effet, pareil homme n’avait donné pareil élan à la langue et aux idées en Basse-Bretagne.

Un de ses disciples chéris, Julien Maunoir, continua son œuvre. Quoique né dans la Haute-Bretagne, où la langue des Bas-Bretons est toujours odieuse, il l’avait apprise, la savait assez pour pouvoir enseigner et même pour composer des poésies, où il résumait, sous une forme attrayante, les vérités de la religion, suivant en tout la méthode simple et populaire du maître. Ses succès furent pareils. Sur les montagnes, dans les vallées, aux bois, aux champs, sur les rivages et en pleine mer, on n’entendait qu’une voix qui répétait ses chants. Comme vers Michel Le Nobletz, on courait vers lui de toutes parts, de près et de loin, des quatre évêchés bretonnants, partons les chemins, de toutes les petites villes, des bourgades, et principalement des lies d’où la population arrivait dans mille bateaux, chantant en cadence, en ramant, les cantiques pieux de son prédécesseur ; si bien que les ennemis de la renaissance nationale l’accusaient comme lui et disaient sérieusement « que, par je ne sais quels charmes secrets et la puissance du chant, il attirait après lui les îles entières [3]. » Peut-être, au reste, cédaient-ils malgré eux à l’opinion celtique sur la force de la poésie. Le biographe de Maunoir ne paraît pas loin de la partager, a Un jour, assure-t-il, le saint missionnaire s’embarqua avec plusieurs de ses disciples, malgré une tempête horrible ; dès que la troupe fut en mer, ils entonnèrent des cantiques, et les rochers répétant la voix, les échos formèrent plusieurs chœurs, et, comme si la mer eût été sensible à ces concerts, on dit qu’elle se calma [4]. » Maunoir lui-même croyait à cette puissance, mais en trouvant ailleurs les motifs de sa foi : il le raconte avec une simplicité touchante qui n’admet pas le doute. « Deux mauvaises années de suite ayant causé une grande cherté dans la Bretagne, je composai un cantique exprès en l’hon-

  1. Vie de Michel Le Nobletz, p. 298.
  2. Ibid. p. 314.
  3. Vie du P. Maunoir, p. 143 (éd. de 1834.)
  4. Ibid. p. 104.