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ESSAI SUR L’HISTOIRE

multitude de personnes de quinze et vingt lieues à la ronde, pour les apprendre [1]. Dans les îles, comme la plus grande partie des habitants étaient occupés à la pèche, le saint barde les suivait au large, où il les trouvait réunis en grand nombre, et, montant sur le plus élevé de leurs bateaux, il charmait leurs travaux par ses chants [2]. Lorsque l’œuvre de Dieu était accomplie dans un évêché, et que la Providence l’appelait ailleurs, le désespoir des habitants était tel, et il s’élevait de tels cris, qu’on eût jugé que ce pauvre peuple perdait tout son bonheur et toutes ses espérances [3]. Alors, c’était ordinairement la calomnie, l’envie ou un esprit d’opposition anti-nationale à la culture du breton qui chassaient le pieux missionnaire. Chose inouïe, mais qui n’a pas été sans exemple, quelques ecclésiastiques auxquels ses succès faisaient ombrage, allèrent jusqu’à l’accuser, du haut de la chaire, de vouloir corrompre le peuple par des chants impudiques, scandaleux et grossiers, de présider à des assemblées de chanteurs de carrefours, d’amuser la foule par des spectacles nouveaux, d’introduire dans les paroisses des coutumes dont la pratique était intolérable à des personnes âgées, qui avaient d’autres affaires de plus grande conséquence que d’apprendre à parler purement le breton [4]. Sur ces dénonciations, un prélat (l’évêque de Cornouaille), qui ne pouvait s’instruire par lui-même de ce que contenaient les chansons bretonnes, parce qu’il n’entendait pas encore la langue du pays, selon la remarque d’un contemporain, adressa des réprimandes à l’auteur, comme à un homme qui mettait le scandale et la division parmi ses frères et qui cherchait à innover [5]. Il enjoignit ensuite, sous peine d’excommunication, à tous ceux du diocèse qui logeaient quelques-uns des chanteurs formés par le saint prêtre, de les renvoyer ; mais la défense fut inutile : le peuple n’en continua pas moins à recevoir et à écouter les chanteurs, et l’on entendit une pauvre paysanne, qu’on menaçait de la mort, s’écrier, avec un accent sublime : «Nous ne chantons que la doctrine de Jésus-Christ ; qu’on nous crucifie comme on l’a crucifié, et nous chanterons encore sur la croix ! » Etonné de cette opiniâtreté, l’évêque se fit traduire quelques-uns des chants dénoncés, et les trouva si beaux et si édifiants, qu’il leva publiquement le blâme dont il les avait frappés, condamna les calomniateurs du saint prêtre, encouragea l’auteur, les chanteurs et les auditeurs, et même apprit la langue bretonne. Beaucoup d’ecclésiastiques, qui l’ignoraient comme lui, suivirent son exemple [6] ; et quoique les propos calomnieux contre Michel continuassent à avoir cours, au point que des « malicieux, ne sachant plus qu’inventer, publioient partout que c’étoit un sorcier» : ses succès ne se rahMilirenl nullement ; « la calomnie n’empêcha pas, poursuit son biographe, qu’il ne fût demandé, lui et ses disciples, dans tous les diocèses de la Basse-Bretagne ; que les villages mesmes où ils alloient ne devinssent aussi fréquentés que les grandes villes les plus peuplées ; qu’ils ne fussent obligés partout de prescher dans les places publiques ou au milieu de la

  1. Vie de Michel Le Nobletz, p. 386.
  2. Ibid. p. 133.
  3. Ibid. p. 266.
  4. Ibid. p. 217.
  5. Ibid. p. 156 et 292.
  6. Ibid. p. 295.