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ESSAI SUR L’HISTOIRE

formules plus simples, plus claires, plus précises et plus justes que celles qu’il a données, sans parler de beaucoup d’autres lois de la syntaxe bretonne mieux déduites, mieux exprimées et surtout rangées dans un meilleur ordre. Mais il manquait de la sagacité nécessaire à un grammairien ; ainsi croirait-on qu’il parait avoir ignoré que les mots bretons eussent des genres, jusqu’à l’époque de la composition de sa grammaire ? c’est du moins ce qu’on doit conclure, d’après son dictionnaire, car il n’y spécifie pas plus leurs genres, que le P. Maunoir dans le sien. Tous ces défauts ne l’ont pas empêché de faire autorité jusqu’à l’époque où Le Gonidec est venu enseigner aux Bretons la vraie manière d’exprimer les diverses modifications de la pensée, et marquer une ère nouvelle dans la voie de perfectionnement où ils sont entrés avec toute la France du xixe siècle. On ne saurait trouver un guide aussi sûr pour l’étude du breton : les principes de prononciation et les règles de permutation qu’il donne, son analyse des parties du discours, puis leur construction, ainsi que les exercices qui les accompagnent, prouvent une connaissance approfondie de l’idiome armoricain, et ne laissent rien à désirer sous le rapport de l’exactitude, de la méthode, de Tordre et de la clarté. La science a reconnu ces qualités en conservant un souvenir plein d’estime pour Le Gonidec, et les Bretons en lui élevant, comme au législateur de leur langue, le monument dont nous avons parlé. Grâce à lui, l’autorité remplace l’anarchie, la règle succède au caprice, l’unité règne aujourd’hui sous le rapport de l’orthographe, du vocabulaire et de la syntaxe ; des principes communs et généraux prévalent sur les coutumes locales ; une pratique constante s’établit, et les Bretons peuvent désormais écrire et parler correctement et uniformément leur langue, plus pure et mieux cultivée qu’elle ne le fut jamais.

L’homme qui opérait cette révolution ne devait pas assister au triomphe de ses doctrines, mais il le pressentit. Atteint déjà de la maladie qui l’emporta, et couché sur son lit de mort, tandis que plusieurs de ses compatriotes, à la tête desquels il eût dû se trouver, partaient pour la fête donnée aux Bretons d’Armorique par les Gallois, il m’écrivait ces lignes presque prophétiques : « Un jour, on sentira l’avantage de pouvoir employer des mots purs bretons en écrivant pour des Bretons, et insensiblement, on en viendra, comme dans ce pays de Galles où vous allez, à répudier du discours tout ce qui sent le jargon, tout ce qui a été emprunté à un idiome étranger ; vous me direz que je vois cette révolution à travers une longue-vue : j’en conviens, et ne m’attends pas à en être témoin ; mais je ne doute pas que vous n’assistiez au changement que je vous prédis. »

Moins de huit ans ont suffi pour réaliser la prédiction du digne vieillard mourant : elle l’a été, nous ne saurions trop le redire, grâce à l’intervention puissante des prélats de Basse-Bretagne, jaloux de concourir à une œuvre de lumière et de progrès, en protégeant une jeune littérature pleine de sève et de vie, dont les promoteurs dévoués, semblables aux athlètes qui couraient dans la lice, se passent de main en main le flambeau du génie celtique :

Quasi cursores vitaï lampada tradunt.