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DE LA LANGUE BRETONNE.

tendus, d’où résultent un laconisme et une concision extrêmes, qui, joints à la désuétude de certaines locutions, ou à leurs acceptions différentes, jettent souvent de l’obscurité sur le sens des phrases. Elle est quelquefois telle, qu’en citant les écrivains les plus anciens, ou est forcé de les éclairer par des parenthèses, contenant soit les mots omis, soit ceux qui ont cessé d’être compris ou qui n’ont plus le même sens. Au contraire, à partir du xiiie siècle, le style devient de plus en plus diffus, de plus en plus prolixe ; les lieux communs, les inutilités, les phrases de pur remplissage y abondent, et les liens du discours, principalement les adjectifs servant d’adverbes, y sont multipliés sans nécessité et sans mesure, jusqu’au milieu du xviie siècle. Alors il commence à se régler un peu ; il se débarrasse graduellement de ses richesses d’emprunt, luxe inutile et incommode ; et aujourd’hui, sans avoir la concision souvent exagérée des premiers siècles, il montre autant de netteté, de précision et de solidité qu’il en avait peu précédemment, et qu’en ont toujours eu ces beaux chants traditionnels composés et répétés d’âge en âge par les rustiques dépositaires du vrai breton [1].

Quant aux constructions régulières des phrases, à l’arrangement des mots selon les règles de la syntaxe, et à leurs relations mutuelles, les auteurs des chants dont je viens de parler, uniquement guidés par un sentiment exquis, naturel aux paysans des montagnes, où la plupart ont été faits, étaient presque les seuls, depuis la fin du xiie siècle jusqu’à la renaissance du xviie, dont les œuvres satisfissent complètement un goût délicat : les solécismes, les tournures vicieuses ou hétéroclites, les gallicismes, les incorrections de tout genre qui déparent le plus grand nombre des livres de la décadence, se joignirent aux causes que nous avons dites pour engager le P. Maunoir à publier les principes de la grammaire bretonne. Mais, s’il avait l’autorité du nom, il n’avait point celle de la critique. Son analyse des parties du discours est incomplète ; sa syntaxe calquée sur la syntaxe latine, dont elle suppose la connaissance, et qui n’a aucun rapport avec la syntaxe bretonne ; de plus, les règles de permutation qu’il donne, à l’imitation des grammairiens gallois, sont loin d’être suffisantes. Chose inouïe ! dans cette partie si importante de la langue, quand il cherche à formuler ces lois qui marquent les rapports des mots entre eux, le rôle qu’ils jouent dans la phrase, en suppléant aux désinences grammaticales, il n’indique pas le genre des mots ! et cependant, sans le connaître, il est impossible de s^exprimer correctement. Plus complète et plus utile que la grammaire du P. Maunoir, celle de Grégoire de Rostrenen n’est guère plus méthodique : il eût pu la rendre telle, car il avait sous les yeux l’excellente grammaire nationale des Bretons-Gallois, écrite par Davies, et, en suivant le même plan et modifiant quelque peu l’ouvrage d’après le dialecte armoricain, il eût fait un livre aussi bon. Il lui eût été facile, par exemple, d’y trouver les règles des permutations des consonnes réduites en des

  1. On y trouvera des preuves multipliées de ce que j’avance. (Voir le second volume du Barzaz-Breiz, édition de 1846. Voir aussi les Kanaouennoù sañtel ; Ar feiz hag ar vrô, etc. ; et parmi les poésies contemporaines, Télen Arvor ; en attendant la publication si impatiemment désirée du recueil complet de celles du docteur Guizouarn, le barde cornouaillais. Pour la prose, ou peut recourir aux Lizériou Breùriez ar feiz.)