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Page:La chanson de Roland - traduction 1911.djvu/26

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XXIII

Le comte Ganelon est dans une profonde angoisse.
Il rejette de son cou ses grandes fourrures de martre
Et reste avec son seul bliaud de soie.
Il a les yeux changeants et le visage hautain.
Son corps est gracieux, ses flancs sont larges.
Il est si beau que les Pairs n’en peuvent détacher leurs regards.
« Fou, dit-il à Roland, d’où te vient cette rage ?
On sait assez que je suis ton beau-père.
Tu m’as proposé pour aller chez Marsile,
Mais si Dieu m’accorde d’en revenir,
J’attirerai sur toi tel deuil et tel malheur
Qui dureront autant que ta vie.
— Orgueil et démence ! répond Roland,
On sait bien que je n’ai cure des menaces.
Mais pour un tel message, il faut un homme sage,
Et, si le Roi le veut, je suis prêt à partir à votre place. »


XXIV

Ganelon répond : « Tu n’iras pas à ma place.
Tu n’es pas mon homme lige et je ne suis pas ton seigneur.
Charles ordonne que je fasse son service.
J’irai donc trouver Marsile à Saragosse,
Mais j’y commettrai quelque folie
Pour satisfaire ma grande colère. »
Quand il entend cela, Roland se met à rire.


XXV

Quand Ganelon voit que Roland se rit de lui,
Il en éprouve une telle douleur que son cœur est près de se rompre de fureur
Et peu s’en faut qu’il ne perde le sens.
Il dit au comte : « Je ne vous aime point :
Vous avez fait tomber sur moi ce choix injuste.
Droit Empereur, vous me voyez devant vous
Prêt à remplir votre commandement. »