L’ARRIÈRE-GARDE
Charles le Grand a ravagé l’Espagne,
Abattu les châteaux, pris les cités.
Le Roi déclare que sa guerre est finie,
L’Empereur chevauche vers douce France.
Le comte Roland a planté son enseigne
Au haut d’un tertre, droit contre le ciel.
Les Francs campent par toute la contrée ;
Les païens chevauchent par les profondes vallées,
Vêtus de hauberts et de doubles broignes.
Le heaume en tête, l’épée à la ceinture,
Écus au cou, et lances toutes prêtes.
Au haut des montagnes, ils s’arrêtent en un bois.
Quatre cent mille hommes attendent là le lever du jour.
Dieu ! quel malheur que les Français ne le sachent !
Le jour s’en va, la nuit est avancée,
Charles, le puissant Empereur, s’endort.
Il rêve qu’il se trouve aux grands défilés de Sizre
Et qu’il tient dans ses mains sa lance de frêne.
Le comte Ganelon la lui saisit soudain.
Il la secoue et la brandit avec une telle fureur
Que les éclats en volent jusqu’au ciel.
Charles dort si bien qu’il ne s’éveille pas.