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nelle. Puis, donna Pia vient adjurer son fils de ne pas frapper. Severo, toujours oscillant dans sa tragique irrésolution, objecte le serment prêté sur l’hostie. Ce serment d’ailleurs, Renzo Ricardi, l’un des trois autres conjurés, vient le lui rappeler et le sommer de le tenir. Le succès du complot est assuré. Chaque soir, quand le Duomo est évacué, Spinola seul, laissant selon l’usage ses armes au moine qui l’introduit, s’en vient faire ses dévotions dans une chapelle basse. Voici, pour pénétrer jusqu’au tyran sans défense, une clef. Et, pour l’immoler, voici un poignard qu’apporte un jeune armurier pisan. Severo hésite encore, malgré les objurgations de Renzo… Mais quelle est cette tête romaine gravée sur l’acier de la lame ? Celle de Brutus, le meurtrier de César, son père adoptif. Un parricide celui-là, et un grand citoyen, un libérateur. Eh bien, lui aussi, sera un Brutus, Il sort, décidé enfin à poignarder Spinola.

Le cinquième acte met aux prises le père et le fils, César et Brutus, dans la chapelle basse du Duomo. L’église est déserte, portes et grilles fermées. Le tyran n’a aucun secours à espérer ; ses appels ne pourraient être entendus que du moine qui l’a désarmé ; et ce moine est complice des conjurés.

— Tu es à notre merci, Spinola. Mais je sais que tu es mon père, et je voudrais te sauver. Écoute : donne-moi l’anneau où est gravé ton seing, ce seing qui rend exécutoires les ordres qu’il revêt. Donne, et je te fournirai un déguisement, un cheval. Tu fuiras loin, bien loin.

Spinola refuse avec hauteur. Soldat, il ne cédera jamais, surtout à un bâtard — Eh bien, ce bâtard le tuera. — Sur l’autel même alors : le parricide se doublera d’un sacrilège. — Tant pis !

Mais au moment où Severo lève le bras pour frapper, de derrière l’autel où elle s’était embusquée, s’élance donna Pia. Elle poignarde Spinola, prévenant son fils, à qui elle épargne un crime de lèse-nature. Puis elle se poignarde elle-même, et tombe en léguant à ce fils cette recommandation suprême : le silence.

Tel est ce drame, beau du premier vers au dernier, traversé par un grand souffle, plein d’élans superbes et d’exquises échappées poétiques. L’exposition en est captivante, le second acte admirable, le dénouement excellent.

Le drame de Coppée est magistralement interprété par mesdames Tessandier, Baréty, Malvau, Chéron et par MM. Albert Lambert fils (début), Albert Lambert, Paul Mounet, Rebel, Raphaël Duflos, Brémont, Boéjat et Prad.

Et maintenant l’Académie ne va-t-elle pas ouvrir toutes grandes ses portes au triomphateur d’hier, à François Coppée ?…

Maurice JOUANNIN.