Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confie son dessein. Le vieillard, qui autrefois tremblait pour son Severo au moindre faux pas de l’enfant, le bénit avec confiance, avec joie, avec orgueil, d’un bras ferme. Survient la mère, donna Pia, une paysanne élevée par Gian Torelli jusqu’à lui, digne compagne du vieux patriote. Il faut qu’elle aussi sache ce que va faire Severo. Son baiser lui sera plus réconfortant et plus propice encore que la bénédiction paternelle. Severo parle : il va tuer Spinola. — Lui, tuer Spinola ? s’écrie donna Pia avec horreur. Non, pas cela ; c’est trop. — Elle demande à rester seule avec son fils. Et alors, dans une admirable scène, elle lui révèle qu’il y a vingt et un ans, pour sauver Torelli de la hache du bourreau, elle s’est livrée au tyran, et qu’il est, lui Severo, le fils de Spinola. Le malheureux jeune homme, atterré par cette révélation, se prend d’un tragique désespoir, reste pantelant devant cette alternative : être parjure ou être parricide.

C’est le plus bel acte du drame. On dira : le deuxième acte de Severo Torelli, comme on dit : le cinquième acte de Ruy Blas.

Cependant, l’impatience des Pisans, devançant l’acte libérateur, se traduit par de puériles et imprudentes insultes aux lions de marbre, emblèmes maudits de l’oppression florentine, qui s’élèvent à tous les carrefours de la ville. Spinola apprend que dix de ces lions ont été lapidés, dégradés. Furieux, il fait arrêter dix Pisans. Leurs têtes tomberont, si l’auteur de ce méfait ne se dénonce pas. Severo, qu’étreint de plus en plus cruellement l’horrible dilemme : se parjurer, ou tuer son père, — saisit cette occasion inespérée de bien mériter de Pise en sauvant dix patriotes, et d’éluder le parricide. Il se dénonce. Mais Spinola n’est pas dupe de ce généreux mensonge. Il n’accepte pas le sacrifice de Severo, et lui ferme la bouche en le menaçant de le déshonorer, lui, son père, sa mère, par la divulgation du secret de sa naissance.

Severo, désespéré, songe à mourir, quand l’amour vient le tenter. À la clarté de la lune, dans cette place magnifique et déserte, au son lointain d’une sérénade, une femme voilée s’approche du banc où il se lamente. Elle l’aime et s’offre à lui. Le chaste jeune homme, captivé, ravi, ouvre ses bras à l’enchanteresse anonyme. Du moins, avant de dire adieu à la vie, il aura connu la douceur d’aimer. Mais cette femme lève son voile ; il l’a voulu, et il reconnaît la Portia, une courtisane, la favorite de Spinola. Il la repousse avec indignation. Quelle destinée que la sienne ! Le patriotisme lui demande un parricide, l’amour un inceste. Plus lourdement il retombe dans son désespoir.

Le quatrième acte, un peu languissant peut-être après deux actes si pathétiques, mais fourmillant, comme tous les autres, de vers superbes ou charmants, ramène Severo dans le palais Torelli. Le vieillard, à l’approche du moment suprême, sent défaillir son intrépidité pater-