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L’Almanach de la Jeune Belgique paraît aujourd’hui, avec une eau-forte d’Amédée Lynen, le savoureux réaliste, et des articles de Camille Lemonnier, Georges Eekhoud, G. Khnopff, Émile Verhaeren, Alb. Giraud, etc., les très hardis et talentueux rédacteurs de la Jeune Belgique.

La Jeune Belgique vient d’entrer dans sa troisième année.

Sur la couverture du nouveau livre de Paul Ginisty, peu vêtue, long gantée, décolletée en cœur, le crochet à la main, l’œil embusqué derrière une loupe, une provocante chiffonnière, dont la botte déborde de papiers, regarde le lecteur, tandis que grouille entre ses jambes un Paris minuscule. Ce dessin symbolise bien le livre de Ginisty. Paris à la loupe est un composé de courts articles et de nouvelles publiés dans Gil Blas : observations piquantes, cinglantes parfois, récits sans maniérisme, d’une gaieté sonnant clair, notes prises sur le vif de la vie boulevardière, coins de paysages suburbains… De nombreuses et médiocres caricatures de Henriot ponctuent ce très curieux volume, édité par Marpon et Flammarion.

Celles qui osent, de René Maizeroy, nous conduisent, avec des sourires aphrodisiaques, dans les mystères des alcôves. En quelques pages, Maizeroy les campe, froides, dans la splendeur de leurs salons, les jette, haletantes, sur des lits saccagés, les dessine avec tous les raffinements d’un art peut-être trop visible, ces affolées d’amour, aux sens exacerbés, très savamment vicieuses, avides de passions rares et véhémentes. L’excellent aquafortiste Kauffmann est entré dans l’esprit même de l’auteur pour subtilement illustrer Celles qui osent. (Marpon et Flammarion, éditeurs.)

Fréquemment dans notre histoire littéraire deux écrivains se rencontrent, — de tempéraments identiques, — qui confondent leurs individualités : un écrivain en deux personnes, Jules et Edmond de Goncourt, Erckmann et Chatrian… Plus rare est le phénomène inverse : deux écrivains en un seul cerveau, Armand Silvestre.

En vers, Armand Silvestre est épris d’idéal ; il brûle le nard de ses adorations devant d’immatérielles beautés, et il écrit le Pays des roses.

En prose, son style devient cl’une estomirante gaieté, et il écrit les Contes grassouillets et les Histoires belles et honnestes. (Paris, 1883, Marpon et Flammarion.) Là, les mots titubent, rient à se décrocher les syllabes, gambadent, tirent la langue, se donnent du pied au derrière, grimpent au mât de cocagne des points d’exclamation, prennent pour escarpolettes les apostrophes. Là, vivent Isolin de Gâteux-Courdcsac, le baron Oscar Malhuché de Vessendeuil, le marquis Bonbon de la Bretonnière, les professeurs Carolus Piff et Van de Mounisch, madame Honoré Leloup de la Pétardière, la comtesse Keskipruth, Hildegarde de Saint-Cucufa, Véturie des Épinettes, Éva des Palombes, Herminie de Bichonnoir, les docteurs Boudou et Lenflé du Pétard, le vicomte Lafleur de Montutu, etc.

Et, emportés dans le tourbillon des plus fantasques bouffonneries, tous les personnages ressemblent à des satyres, les maris par leurs cornes et les amants par leurs audaces.

F.-F.