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traits : ses femmes « oppriment le souvenir », — baignées d’ombre et de songe, énigmatiques comme celles du Vinci, vaguement pensives comme celles d’Hébert, élégantes comme celles de Ricard.

Les chairs sont exécutées par petites touches de pâte, — ce qui leur donne l’aspect strié de l’ivoire et les fait papilloter. Ce procédé devient d’une douloureuse insuffisance lorsqu’il s’agit de pétrir une figure d’homme.

Sellier a traité le nu féminin avec une réelle maîtrise ; ses nymphes sont volontiers assises, le torse rejeté en arrière, les jambes à demi allongées, les coudes aux hanches et les mains sur la cuisse : le corps flue ainsi dans une coulée de chair ; c’est d’une gracilité exquise.

Plusieurs de ses tableaux mythologiques sont à noter. Ses Lédas sont d’un large dessin, et l’oiseau qui, de ses pattes palmées, les retourne de toutes les façons, est d’une perversité fort réjouissante.

Deux beaux tableaux d’histoire, — qui sont plutôt de magistrales esquisses : le Vitellius à Crémone, où le ventre de Vitellius |cesse d’être grotesque pour devenir épique, et le Tibère à Caprée, où, devant le César, évoluent de jeunes hommes, des femmes et des enfants fort intelligemment choisis par les ruffians impériaux.

De très nombreux dessins, — études pour des tableaux qu’il fit ou qu’il projeta, — permettent de suivre les tâtonnements du peintre. C’est, d’ailleurs, par ces vagues ébauches qu’on pénètre dans le tempérament même d’un artiste et qu’on surprend le secret de sa manière.

Le but constant de Sellier fut le mystère ; son moyen, le clair-obscur : toutes ses œuvres en témoignent, — scènes de la vie réelle paysages, mythologies païenne et chrétienne… Jamais il ne campe ses personnages en plein air, en plein soleil : c’est que là, l’étude des maîtres, l’imagination, la patience et le savoir-faire ne suffisent plus ; là, surgissent les difficultés des reflets, des irradiations et des réactions des couleurs ; l’œil doit être à la fois agile, précis et synthétiseur, et la main hardie. Les tableaux de Franz Hals sont bien éclairés, parce que, représentant des choses et des êtres hollandais, ils sont éclairés par une lumière hollandaise ; — ceux de Sellier et de tant d’autres peintres le sont mal, parce que leurs auteurs semblent croire que le jour pénètre de la même façon à travers les baies d’un hôtel du parc Monceau, et à travers les fenêtres à croisillons d’Amsterdam ou du vieil Haarlem.

FÉLIX-FÉNÉON.

REVUE FINANCIÈRE

Le marché des rentes est toujours sous l’influence des préoccupations extérieures. Le vote de la Chambre, favorable au ministère, aurait dû pro-