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CHRONIQUE DRAMATIQUE

Ambigu. — Pot-Bouille, drame en cinq actes, tiré du roman de M. É. Zola, par M. Busnach. — Porte Saint-Martin. — Nana-Sahib, drame en 5 actes et 7 tableaux, de M. Jean Richepin.

J’arrive un peu tard pour parler des deux grands succès de la quinzaine : Pot-Bouille et Nana-Sahib. Ce mot : Grand succès, appliqué à Pot-Bouille, paraîtra, je le sais, excessif à certains esprits grincheux qui, peut-être même avant la première, avaient condamné la pièce, odio auctoris. Je maintiens cependant mon appréciation, et je déclare, qu’à mon sens, Pot-Bouille est une œuvre comme je voudrais en voir représenter sur une de ces scènes subventionnées qu’on est convenu d’appeler : Temples de l’Art. Si quelques caractères peuvent paraître exagérés, tous sont vrais, et surtout logiques. On s’est effarouché de quelques termes un peu crus, notamment du mot typique qui échappe au mari outragé, quand il surprend sa femme en flagrant délit d’adultère. Eh 1 mon Dieu ! prenez un M. Vabre quelconque dans la première boutique venue, placez-le dans une situation identique, et vous me direz ensuite s’il a pris des gants, et de quelle périphrase polie il s’est servi pour qualifier son épouse coupable.

On a prétendu que la bourgeoisie n’est pas telle que nous l’a dépeinte M. Zola : je l’admets ; mais le théâtre est fait surtout pour peindre les exceptions, et nul ne peut nier qu’il existe de par le monde d’innombrables madame Josserand et des multitudes de Vabre. Les don Juan de boutique, comme Octave Mouret, les maris faibles, comme M. Josserand, ne sont pas rares non plus. Je demande qu’on me refasse de toutes pièces une humanité ; alors seulement je déclarerai que l’œuvre de M. Zola ne vaut pas mieux que les comédies de M. Scribe, et que ses personnages sont des personnages de fantaisie, mais jusque-là je maintiendrai que Pot-Bouille est une véritable œuvre d’art, puisqu’elle est vraie, et que j’y trouve l’enchaînement naturel des faits et la logique des caractères.

Delannoy a composé en grand comédien le rôle du père Josserand, il a été magnifique, surtout dans la dernière scène. Que des compliments à adresser à mesdames Aline Duval et Marie Kolb, madame Josserand et Berthe. J’aime peu M. Petit dans le rôle difficile de Trublot ; Bertal s’est beaucoup mieux incarné dans la peau d’Octave Mouret.

Quant à Courtès, qui tient le rôle d’Auguste Vabre, il a fait beaucoup d’effet. Il exagère peut-être un peu ses emportements. Vabre,