Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’étale devant lui une grosse dame fascinée par l’élégante attitude du danseur de corde.

Tels étaient les personnages que je remarquais pour la centième fois, un soir d’avril, devant l’une des plus vastes baraques de la foire de C…

Sur l’estrade qu’ombrageait d’une teinte émeraudée le feuillage naissant des immenses ormes du cours, s’exécutait une imposante parade.

Tout le monde était sur le pont, II y avait branle-bas général de bons mots et de fortes taloches. À la fin, on annonça une grrrrrande représentation de Geneviève de Brabant, suivie de tableaux tournants, vues excentriques, etc., etc. Le programme était si alléchant que la foule, émerveillée, se précipita comme une avalanche sur les degrés de bois. J’ai toujours admiré la solidité de ces constructions foraines. Sous la pression qui s’exerça de tous côtés, je fus porté malgré moi jusque sur le théâtre.

J’essayai en vain de jouer des coudes ; roulé comme un galet par ce flot humain, je fus lancé dans l’intérieur de la loge.

La rage que j’en ressentis me suggéra la mauvaise idée de troubler le spectacle par une foule de choses intempestives.

On devait exhiber, après la pièce, une série de dessins magiques pour l’effet desquels toutes les lumières sont éteintes dans la salle. Pendant l’obscurité, je me promettais de faire mille farces à mes voisins : aplatir un chapeau à droite, pincer un nez à gauche, tirer des cheveux en face. Mais cette exaltation dura peu.

Épuisé par ma résistance désespérée, suffoqué par l’âcre odeur des quinquets fumeronneux de la rampe (les baraques de foire n’étaient pas encore éclairées selon le procédé Edison), je ne tardai pas à me sentir immergé dans une sorte d’inconsciente inertie à travers laquelle j’entendis comme dans un rêve l’ouverture brillamment exécutée par un orgue de barbarie. La petite toile se leva enfin et deux personnages parurent : l’un était Golo, l’autre Humbert, son confident.

On m’avait souvent, dans mon enfance, raconté l’histoire de Geneviève de Brabant. Il y avait même là, si je m’en souviens, certaine biche qui m’a fait verser bien des larmes. Je croyais, d’après les récits entendus,