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une nuit charitablement propice aux rendez-vous amoureux ; tel était le silence qui régnait dans la villa de Diomède, qu’on eût perçu la respiration d’un oiseau endormi. Je traversai le seuil, puis l’atrium, sans que personne prît garde à ma présence ; je pénétrai dans les jardins tout imprégnés de molles senteurs ; et à l’extrémité de l’enceinte, d’où l’on voit encore le soleil se coucher dans la mer azurée, un autre jardin en terrasse qui était l’endroit préféré de Julia, mais non moins solitaire en ce moment, m’invita au recueillement. J’attendis. Mais comme elle se faisait attendre ! Et, cependant, la Grande Ourse resplendissait là-haut.

Un long sablier de verre fin, oublié sur le piédestal d’un vieux Pan moqueur, me fit compter deux longues heures ; et j’étais là maudissant la volage, l’infidèle Julia ; oui, l’infidèle ! car je songeais au jeune Syrien, que l’ingrate s’oubliait peut-être à écouter, dont elle recevait peut-être les caresses, cependant que son ami Égæus bayait aux étoiles. Rien ne troublait le silence de la nuit, si ce n’est le murmure des flots venant se briser sur la grève odorante, tandis que par instants le cratère du Vésuve agitait son panache de feu.

Impatienté, je pris le sablier et le brisai contre la statue. À ce mouvement, de moqueur qu’il m’avait semblé être d’abord, le vieux Pan parut me considérer d’un œil bienveillant. Je m’attendais à ce qu’il daignât rompre le silence, mais il n’en fit rien. Alors, de plus en plus fiévreux, lamentablement surexcité par l’aiguillon de la jalousie, je me répandis en paroles amères, et avec une telle puissance d’organe, que tous les échos de Pompéi durent en être réveillés. Presque aussitôt j’entendis un léger bruit de pas, et il me sembla discerner une ombre gracieuse se profilant sous les orangers et le long des myrtes. — Qui venait ainsi ? qui venait m’arracher au cruel tourment d’amour dont je souffrais ? Qui, sinon elle ?

Et le bruit des pas, qui se rapprochait de plus en plus, m’ayant averti que l’ombre venait vers moi, suivie d’un corps palpable, je me précipitai à deux genoux devant la statue du dieu lare, croyant voir apparaître derrière la chère attendue, lorsqu’une main peu légère se posa sur mon épaule, tandis qu’une voix qui n’avait rien de mélodieux me disait ces mots :

« Signorino, la jeune patronne de l’albergo di Diomedo m’a envoyé à votre recherche. Voici trois grandes heures que je rôde à travers les ruines pour découvrir Votre Excellence, qui se sera sans doute égarée dans ce quartier de la villa. Seulement, il faut que vous sachiez que je ne m’appelle pas Julia, mais Luigi Spavento, gardien assermenté. Julia, c’est le nom de la signorina de l’hôtel, une belle personne qui vous veut du bien. »

Et taciturne, voire un peu furieux contre moi-même, aussi sottement