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point douter, le jeune étranger que recevait chez lui Diomède, la divinité du lieu ne le pouvait regarder avec indifférence.

Moi-même, en vérité, je me sentais attiré vers cet étranger, venu du fond de la Judée à la suite du légat impérial de Syrie, et dont les entretiens, remplis d’une douceur infinie, étaient comme un écho des espérances messianiques entrevues là-bas depuis la naissance du Galiléen ; ce qu’il racontait à cette occasion, en y mêlant une exégèse allégorique et l’enthousiasme juvénile de son âme, puis encore l’harmonie de sa parole et de ses manières, ainsi que de son costume, enfin la beauté du type iduméen dans ce qu’il a de plus accompli, tout faisait d’Immanuelis, — du moins, c’est le nom que prenait parmi nous le jeune Syrien, — un de ces charmeurs qui semblent avoir été créés tout exprès pour la perdition de la femme.

Cependant Julia, quand nous étions seuls, ne craignait pas de me marquer une tendresse si pleine d’abandon que j’eusse voulu pouvoir, sur l’heure, désaltérer mes lèvres à cette coupe débordante de désirs et de parfums délicieux ; mais, pour si libres que nous fussions en apparence, il nous fallait bien prendre souci des oreilles et des yeux indiscrets de la domesticité jaune et noire de la maison.

La saison des roses était revenue, et avec elle l’ardeur de la jouvence, les rêveries énervantes et les excitations voluptueuses de la vie pompéienne. Je pressai de plus en plus la fille de Diomède de me donner le gage promis, en sacrifiant sur l’autel de Vénus ; elle ne se défendit point de cette promesse ni de ses propres désirs ; mais c’était chaque jour quelque empêchement fortuit. Un jour, cependant, qu’à l’occasion d’une solennité religieuse (la célébration des mystères d’Isis, s’il m’en souvient), Diomède avait octroyé pleine licence à toute la gent servile de son palais, la chère bien-aimée me fit savoir par Cléa, son esclave ionienne et sa confidente, qu’elle m’attendrait le soir en son jardin privé, dès que la Grande Ourse aurait paru au zénith ; et Cléa eut un si agréable sourire en me transmettant ce message, que je l’eusse volontiers chargée d’une pluie de baisers pour sa maîtresse, si je n’eusse craint qu’elle n’en fît son bien propre ; tellement les créatures de sa race et de son sexe ont toujours été coutumières de la fraude en ce commerce de baisers, dont elles sont friandes à bouche que veux-tu. Le divin Apollon m’est d’ailleurs témoin que jamais je ne les y ai encouragées, même en mes jours de jeûne d’amour et de véritable famine, que jamais je ne leur ai confié la plus petite parcelle du feu sacré qui me consumait.

Dieux immortels, je vous invoque ici ! Dites, répondez : Ai-je cessé un seul jour de servir l’autel où ma flamme s’était allumée ?…

Elle brûlait ce soir-là comme elle ne brûlera jamais plus. Il faisait