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frémissements vagues. Ces gens bien gantés ont l’admiration correcte.

En haut, bruit d’enfer !… On claque, on hurle, on trépigne, on défonce le parquet, on décroche les tringles de fer, on étreint les inconnus dans un embrassement frénétique. C’est l’ivresse des vins capiteux. On n’étale pas l’habit à la mode, on se débraille comme dans un plantureux festin ; on fait large bombance au banquet des Wagner, des Liszt et des Berlioz. On n’entend plus qu’un immense hourra, on ne voit plus qu’un océan houleux, formidable et rugissant.

Et d’en bas, le philistin glabre les prend pour des hommes ivres. Oui, comme l’a dit un des leurs, aujourd’hui célèbre :

Oui, ils sont saoûls, les pauvres diables,
Et plus saoûls que vous ne pensez,
Car leurs gosiers insatiables
Ont bu des alcools insensés.

Ils ont bu, bu à pleines lèvres,
Bu à pleins yeux, bu à pleins cœurs
Cet alcool qui guérit leurs fièvres,
L’assurance d’être vainqueurs.

Et voilà pourquoi Le Texte est rivé à l’amphithéâtre. À dire vrai, les plus huppés de la bande rougissent parfois de siéger dans le septième cercle du paradis. C’est alors que Le Texte remporte ses plus beaux succès oratoires. L’amphithéâtre ! mais c’est le seul point d’où l’oreille puisse faire la synthèse d’un morceau ! mais Weber, Gluck, Beethoven, Wagner, Mozart ne sortaient jamais de là, lors des premières représentations de leurs opéras. Et d’ailleurs, toutes les places, ne les a-t-il pas étudiées l’une après l’autre ? Ne connaît-il pas le fort et le faible de chaque galerie, de chaque baignoire, de chaque fauteuil ? Ici, on est trop près des cuivres ; là, on ne les entend pas assez ; l’andante de cette symphonie doit être écouté de telle stalle, le scherzo de tel strapontin, etc., etc.

III

Le temps coule. Trois musiciens ont pris place dans l’orchestre. C’est le moment de se ranger en bataille. D’un noyau de vétérans Le Texte couvre ses derrières ; à droite il échelonne dans la pénombre du cintre les bataillons d’attaque, sur l’aile gauche, à portée de l’œil, il développe les troupes hésitantes.

Deux heures ! On devrait déjà commencer. Là-bas, les impatients frappent du pied ; les philosophes trompent l’ennui de l’attente en imitant le cri du léopard en goguette, les loustics lancent des flèches de papier aux dames du balcon. Toute la salle a ses nerfs. Mais ces