retards, Le Texte les bénit. Il les emploie à organiser la victoire. Ardent et fébrile, il passe la revue, il harangue ses hommes, il explique le programme, il fait la théorie du morceau, il signale les endroits à siffler, à applaudir, à bisser, à imposer…
Et serrés comme la phalange macédonienne, calmes et forts, l’oreille aux aguets, ils sont là, prêts à donner.
Sectateurs du Joli, tremblez ! le Beau tient ses assises. Malheur aux mièvreries, aux infidélités, aux mutilations !
Le premier violon s’est-il lancé dans des variations fantaisistes ?…
— Le texte ! Rétablissez le texte ! crie une voix de stentor.
L’orchestre a-t-il escamoté, à l’aide de coupures, certaines difficultés d’exécution ?…
— Quel nain se permet de châtrer les géants ? hurle la même voix. Le texte ! rendez-nous le texte ! (De ce bruyant rappel au texte date le sobriquet de notre héros.)
S’obstine-t-on à lui donner du Joncières quand il réclame du Berlioz : c’est bien ! Il laisse commencer le morceau, mais lorsqu’au milieu du recueillement universel les violons exhalent leur plus mélancolique soupir, soudain la salle est mise en feu par ces trois mots qui éclatent comme un tonitrument : « Une statue à Berlioz ! Du marbre à Berlioz ! »
Le concert classique étant pour lui le temple de l’Austère Idéal, il flagelle impitoyablement les motifs d’opéra comique qui le souillent de leur présence.
C’est ce qui est arrivé pour l’Arlésienne.
— Du Bizet !… de l’art mièvre !… À la salle Favart ! fit-il sommairement — et l’orchestre ne put continuer l’œuvre.
Il tolère rarement d’autres applaudissements que les siens.
Un jour que le public du rez-de-chaussée applaudissait outre mesure un passage assez banal des Ruines d’Athènes, la Ronde des derviches :
— Mais, tas de notaires ! vous ne voyez donc pas que c’est de l’opéra-bouffe ! exclama-t-il sans pitié pour l’œuvre du maître.
Tel est Le Texte dans l’exercice de ses fonctions.
Au début, la direction naïve se crut de taille à lutter avec cette dictature naissante. Un beau dimanche, pendant l’entr’acte, traîtreusement, le chef d’orchestre dépêcha vers l’amphithéâtre quatre municipaux flanqués d’un brigadier avec mission d’expulser manu militari l’incorrigible perturbateur.
