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dans les plaines boisées, coupées de ravins et de fondrières, qui s’étendent jusqu’au Maroc…

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Cependant, Zora tombée sanglante n’était pas morte, elle n’était qu’évanouie ; la balle, entrée près du sein droit, était sortie derrière l’épaule. Ben-Kaddour la fit transporter à l’hôpital militaire, pensant qu’elle y serait mieux soignée que chez les Arabes. Le médecin déclara que la blessure était mortelle, mais que la pauvre enfant aurait encore de longs jours à souffrir.

Quand elle revint à elle, les premières paroles de Zora furent : « Où est Ahmed ? » — « Il a fui », répondit malencontreusement une personne présente, « mais on saura bien le trouver, et il sera fusillé. » — « Comment ! fusillé ! Je ne veux pas, moi, je suis la maîtresse, c’est moi qui l’ai voulu, il n’a tué personne, il ne m’a point fait de mal ; il ne l’a pas fait à dessein. » Et la pauvre blessée se débattait dans son lit, elle voulait fuir, s’élancer à la défense de son frère. Le docteur entendit ses cris ; c’était un homme intelligent et un excellent cœur, qui sut bien vite comprendre la jeune fille : — « Sois tranquille, dit-il, bonne petite Zora, on ne prendra point ton Ahmed, et si on le prend, il ne lui sera fait aucun mal, je te le garantis. »

Zora, qui voyait le respect que chacun témoignait au médecin dans l’hôpital, se figura qu’il était un puissant personnage et elle fut rassurée : — « Oh ! que tu es bon, dit-elle, en voulant baiser son habit ; tu le protégeras, et quand tu m’auras guérie, je pourrai encore le voir ; je ne suis pas la femme de Kaddour. Peut-être tu me laisseras m’en aller avec Ahmed, n’est-ce pas, Français ? » — « Songe à guérir, bonne petite, puis nous arrangerons toutes choses. »

Les infirmiers, instruits par le médecin, parlèrent tous à Zora dans le même sens ; et la pauvre enfant, qui chaque jour faisait une étape vers la tombe, parlait chaque jour d’amour et d’avenir.

Un jour, — elle était alors à l’hôpital depuis deux mois, — elle sentait venir la dernière heure, elle demanda le docteur : « Seigneur, dit-elle, pourquoi ne t’ai-je donc pas connu plus tôt ! je ne serais pas aujourd’hui sur le point de mourir. Moi, je ne demandais rien du tout aux hommes ; pourquoi ne m’ont-ils point laissée en paix ! j’aurais été bien heureuse avec mon petit Ahmed, il ne nous eût pas fallu grand’chose pour vivre ; et si j’étais morte de faim, au moins j’aurais succombé près de lui ; il m’aurait tenue dans ses brais, comme quand j’étais toute petite, et il m’aurait regardé avec ses yeux si bons et si doux… Lorsque j’aurai quitté ce monde, et qu’il se sera endormi à son tour, peut-être nous retrouverons-nous ensemble ; je ne suis point la femme